Sabine PROKHORIS - 4 Jan 2019

Identités et systèmes de valeurs

OUVRIR LES YEUX – A propos de Un temps pour haïr, de Marc WEITZMANN

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 Ouvrir les yeux

À propos de Marc Weitzmann, Un temps pour haïr, Grasset, 2018., (507 pages, 22 euros)

  «[…] la voix de l'intellect est basse, mais elle ne s'arrête point qu'on ne l'ait entendue. Et, après des rebuffades répétées et innombrables, on finit quand même par l'entendre. C'est là un des rares points sur lesquels on puisse être optimiste en ce qui regarde l'avenir de l'humanité, mais ce point n'est pas de médiocre importance ».

Sigmund Freud



  22 décembre 2018 : sur la butte Montmartre, des « gilets jaunes » entonnent gaiement, sur l’air du chant des Partisans, le refrain antisémite fameux de Dieudonné : la « quenelle ». Macron cette fois  recouvre « Sion » – en réalité lui équivaut.

Le soir même, dans le métro, une dame âgée, protestant contre des gilets jaunes avinés qui braillent ce même chant, est victime d’une agression antisémite[1].

Quelques jours auparavant, François Ruffin, ce bon garçon aimé du « peuple » (paraît-il), se référait, à propos du RIC (référendum d’initiative citoyenne, revendication phare des « gilets jaunes »), à Etienne Chouard, connu pour ses accointances avec Alain Soral et la fachosphère[2]. Quelques mois plus tôt, avec une perversité consommée, le même Ruffin parlant dans une interview publiée sur Youtube[3] de la situation des agriculteurs en France,  résumait ainsi l’action du gouvernement : « C’est une grosse quenelle qui est mise aux agriculteurs », joignant sans honte le geste à la parole[4]

Persillé de diverses sorties antisémites, telle celle-ci par exemple, à l’encontre d’une journaliste en reportage à Toulouse agressée en ces termes par des « gilets jaunes » furieux : « youpin macroniste[5] » – sans parler des images qui ont circulé sur internet, et de banderoles que l’on a pu voir sur certains ronds-points –,  le mouvement, hétéroclite il est vrai – tous les « gilets jaunes » ne se sont pas reconnus dans ces dérives, même si bien peu s’en sont désolidarisés –, a révélé une photographie d’une partie de la France « profonde » comme on dit, qui fait froid dans le dos. Quoi qu’on puisse penser par ailleurs des revendications qu’il a voulu faire entendre, cela étant (on l’espère tout au moins) une autre question.

Colère sur les ronds-points – colère et parfois haine, souvent, trop souvent, et pas simplement, comme beaucoup voudraient le croire, lutte politique légitime du « peuple de gauche [6]». Haine souvent nourrie d’antisémitisme recuit, explosant parfois dans les incidents odieux que l’on vient d’évoquer. Ne serait-ce arrivé du reste qu’une fois, une unique fois, elle eût été de trop, qui aurait dû être immédiatement et unanimement condamnée par toutes les figures auto-proclamées « représentantes » du mouvement[7]. Poussivement, trois jours après les incidents du week-end du 22 décembre, un groupe de « gilets jaunes », c’est tout à son honneur, a clairement signifié que ces dérives étaient inacceptables. Dont acte.

  Un temps pour haïr : ce verset de l’Ecclésiaste donne son titre, en forme de sombre avertissement sur l’époque, à l’ouvrage récemment publié par le journaliste et romancier Marc Weitzmann.

Dédié à Philip Roth – pour des raisons amicales, mais aussi et surtout intellectuelles et littéraires, comme le comprendra qui a un tant soit peu lu l’immense écrivain américain récemment disparu –, l’essai, une « archéologie de la haine » nous alerte à juste titre la quatrième de couverture, détaille et interroge, c’est son fil rouge, différentes manifestations actuelles de l’antisémitisme, ainsi que leur potentiel dangereusement délétère, au prisme de ce que les spécificités de la situation française spécifique révèlent de problématiques idéologiques et géopolitiques que l’on voit se cristalliser dans la montée grandissante de populismes identitaires, et dans l’essor de la violence religieuse islamiste – terroriste mais pas seulement[8] –, identitaire elle aussi.

Il faut préciser ici que Un temps pour haïr est la version française, beaucoup plus déployée,  d’un autre livre, initialement prévu aux USA à partir d’une série de reportages pour la revue Tablet qui en constituent donc la matrice. Ces reportages sur la montée des violences antijuives en France au cours des années 2000 avaient été proposés à ce magazine parce que, explique l’auteur, « cette haine ne visant que des Juifs n’avait aucune chance d’intéresser les médias français ».  En gros, pas de quoi en faire une affaire ; violences regrettables, certes, mais pas inquiétantes au point de s’en préoccuper outre mesure. Car ces violences, tel serait l’indicible non-dit de cette indifférence relative, ne concerneraient pas tous les citoyens, mais uniquement une mince frange de la population, leur cible « normale » en quelque sorte. Vieille affaire. Rappelons ici la petite phrase de Raymond Barre lors de l’attaque, en 1980, de la synagogue de la rue Copernic, qui visait, expliqua-t-il, « les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic ».

Toutes choses qui, aujourd’hui comme hier, en disent long sur un certain climat intellectuel en France, doublé d’un aveuglement certain – un climat intellectuel, que l’on peut lire comme le symptôme redoutable d’un état des lieux dont les premières lignes de la présente note font l’amer constat, et qui n’a sans doute pas, sur le fond, significativement changé[9].

Or ces dernières années, de nouveaux paramètres sont venus complexifier singulièrement la donne. Ce sont ces paramètres que l’entreprise, à la fois ample et minutieuse, à laquelle s’est attelé Marc Weitzmann s’est donné pour tâche de décrire et d’articuler[10].

Le projet de livre américain démarrait à peine en effet lorsque survinrent les attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher de Vincennes, début d’une vague de terreur islamiste qui allait culminer en novembre de la même année avec les attaques simultanées du Bataclan et des terrasses. Il apparut du coup nécessaire à l’auteur, à la lumière de ce qui arrivait alors en France et dans une perspective bouleversée par ces événements, mais par là-même renouvelée et précisée, de reprendre, à l’intention d’un public français cette fois, les questions en travail dans les enquêtes menées pour Tablet.

Patiemment, croisant enquête, récit et réflexion, variant les focales dans une perspective qui est celle du contexte français marqué par les suites de la colonisation, et de la guerre d’indépendance, puis de la guerre civile algériennes, M. Weitzmann débrouille peu à peu l’écheveau extraordinairement complexe et ramifié dont se trament les figures de l’antisémitisme contemporain, dans leurs liens d’une part, donc, à la violence islamiste, d’autre part aux formes actuelles – post Shoah, et par conséquent inséparables aujourd’hui de l’entreprise négationniste – de la convergence, voire de l’alliance rouges-bruns. Courants qui se rejoignent dans une commune détestation des Lumières, de la raison, de l’État de droit, de la modernité enfin[11], et dont l’exploration menée par M. Weitzmann fait saisir au lecteur attentif nombre d’enjeux redoutables. Un écheveau passablement embrouillé, donc, fait de multiples fils enchevêtrés, parfois si intriqués qu’ils doivent impérativement être tenus ensemble – ce qui à certains moments représente un défi méthodologique épineux, que l’auteur relève avec courage et modestie, et un art de l’exposition en tout point remarquable. Au long d’un périple sinueux, aux embranchements nombreux dont il ne néglige aucun, il s’empare fermement un par un de ces fils, d’un plan à un autre – fragments d’histoires singulières précisément documentés, histoire coloniale, littérature (on appréciera notamment de saisissantes analyses de quelques textes de Jean Genet), hypothèses sur les effets et les usages de la technologie numérique en matière de prolifération de « vérités » alternatives parfaitement indifférentes à toute réfutation rationnelle autant qu’aux enseignements fondés sur une analyse de l’épaisseur des expériences et sur l’établissement de faits d’une teneur et d’une texture autres que virtuelles – tout en montrant de quelles façons multiplement déterminées ils s’entrecroisent. Si bien que, pour filer la métaphore cinématographique, le cadre que dessine d’un geste sûr le projet de M. Weitzmann – la France des années post 2000 – est construit de telle sorte que, afin d’en discerner la profondeur et les multiples plans, le hors champ (spatio-temporel : historique, géopolitique) s’y trouve sous différents angles convoqué.

Cela donne une méthode, clairement dictée à l’auteur par l’objet dont il se saisit, compliqué de nombreux méandres. Cette adéquation de la méthode mise en œuvre à l’objet de l’étude, méthode alors nécessairement digressive – ce qui comporte toujours le risque de se perdre en chemin –, mais pour autant parfaitement articulée dans l’entreprise de M. Weitzmann, est nous semble-t-il l’indice le plus sûr de la qualité et de la sûreté de sa démarche. Et le lecteur le suit sans décrocher un seul instant, dans ce qui se lit de bout en bout comme un thriller méditatif –à ceci près qu’il ne s’agit pas d’une quelconque fiction, mais de faits. L’exergue de Thomas Bernhard dont voici les premières lignes – « Les faits sont toujours des faits effrayants, et nous n’avons pas le droit de les recouvrir de l’angoisse qu’ils nous donnent […], nous n’avons pas le droit de falsifier ainsi toute l’histoire, […] » – nous en avertit, qui pose d’entrée de jeu une des questions qui court tout au long de l’ouvrage : celle de la falsification, au cœur de la fabrique des « authenticités » identitaires, couplée à une exaltation du martyre façon « selfie » planétaire à l’âge d’internet, complaisamment relayée par quelques intellectuels occidentaux en mal de transcendance (voir en particulier les passages concernant les étranges réactions de certains aux attentats kamikazes de novembre 2015, celle, sidérante, de Virginie Despentes dans Les Inrocks par exemple[12]). Sans doute est-ce là l’un des points les plus troublants qu’affronte et que déplie, sous différents aspects, Un temps pour haïr.

Ainsi, sans perdre de vue ni délaisser un seul instant la problématique initiale de son propos, dont il va chemin faisant déployer la complexité et l’étendue historiques, politiques, intellectuelles, en suivant chacun de ces méandres, quitte à s’enfoncer, pas à pas, dans des taillis qu’il lui faut débroussailler, M. Weitzmann construit et déplie une réflexion politique qui avec une acuité douloureuse, comme en témoignent les dernières pages du livre, diagnostique notre présent, pour emprunter à Michel Foucault une formule par laquelle il définissait la tâche de l’intellectuel aujourd’hui.

En trois livres – trois mouvements : « À la recherche de l’authenticité – (ou l’« Orient » contre le monde moderne) »,  « L’énergie pour tuer » – (l’implantation des discours islamistes en France), Kaddish » – et quatorze chapitres de longueur inégale, dont chacun correspond à un méandre qu’il faut suivre pour assurer la progression de la recherche et ainsi permettre de creuser la réflexion, M. Weitzmann ouvre des perspectives précieuses pour élaborer une critique précise, et rationnelle et partant, on l’espère, efficace, des discours de haine en leurs effets bien réels, puisqu’ils donnent lieu à des actes qui sont autant de crimes – toute une suite de meurtres en l’occurrence, et personne n’a oublié, entre autres, celui, particulièrement haineux et sadique, de Ian Halimi commis par le gang des Barbares. Discours dont l’antisémitisme s’avère être une dynamique structurante, plus ou moins explicite.

Cela se double, dans son travail, d’une mise en cause argumentée, rigoureuse et patiente de l’aveuglement complaisant, si ce n’est du déni, dont peuvent faire montre nombre d’intellectuels médiatiques quant à l’interprétation de cette haine dévastatrice. Nous laisserons le lecteur découvrir lui-même la richesse de tous ces développements – il ne s’agit pas dans cette note de prétendre résumer, et risquer à la fois de déflorer et de réduire, et donc de fausser, ce que nous fait toucher du doigt et de l’esprit ce livre captivant, qui est aussi un appel à la vigilance et au discernement. Signalons cependant ici trois points à nos yeux particulièrement éclairants parmi tous ceux que le livre articule.

En premier lieu, celui-ci : au sujet des alliances bruns-rouges que l’on voit converger avec les courants islamistes, iraniens notamment, ce que nous apprend le surprenant parcours d’Alexandre Douguine décrit dans un des chapitres du livre – Douguine que l’on connaît comme un théoricien nationaliste eurasiste, et influent personnage de la politique russe.

Ensuite, on sera attentif à ce que développe M. Weitzmann autour des « authenticités » trafiquées, support de revendications identitaires et redoutable ciment de pacotille de l’action terroristes. Et en particulier aux hypothèses qu’il propose concernant le fonctionnement des memes dans les algorithmes internet, dont l’effet est de produire un « réel » totalement factice, mais pas moins obsédant pour cela : sans contenu et sans consistance autres que sa seule duplication, aussi vide que la phrase infiniment recopiée du héros de Shining[13]. Il y a là une conjecture théorique audacieuse, qui mérite certainement qu’on y réfléchisse. Car pour séduisante qu’apparaisse l’analyse conduite par M. Weitzmann, et féconde, ce qui, de fait, demeure énigmatique est la nature de la relation entre cette donnée technologique spécifique, et le fait que ça puisse « prendre » de façon aussi radicale souvent. De quelle forme d’emprise mentale s’agit-il en d’autres termes, quels processus psycho-cognitifs, combinant plusieurs facteurs, voit-on entrer en jeu, si l’on admet que le pouvoir performatif de ces memes n’a évidemment rien de magique – autrement ne relève pas intrinsèquement de cette technologie, même si elle y contribue largement ? La question reste ouverte, et les pistes stimulantes suggérées dans ces pages de l’ouvrage, à lire en relation avec ce que l’auteur analyse des vertiges de la taqiya[14]sorte d’auto-injonction contradictoire du croyant sincère en islam, consistant à manifester sa foi en la niant demandent à coup sûr qu’on continue à les étudier.

Quelques éléments de réponse, partiels certes, et particulièrement sinistres, nous sont fournis, peut-être, par les fragments qui permettent de reconstituer quelque chose du parcours erratique de Hasna Aït Boulahcen, exposés dans l’ouvrage à travers la retranscription de quelques extraits de ses conversations téléphoniques dans les heures qui suivirent les tueries du 13 novembre. Hasna Aït Boulahcen qui, on s’en souvient, joua les intermédiaires pour trouver une cache à son cousin, Abdelhamid Abaaoud, logisticien des attaques, et trouva la mort à Saint Denis le 18 novembre 2015.

Enfin, ce que l’on pourrait désigner comme une sorte de généalogie du multiculturalisme identitariste et racialiste indigéniste, à travers une histoire insoupçonnée de l’émergence du code de l’indigénat sous Napoléon III, sera de nature à renouveler notre perception de l’idéologie qui anime aujourd’hui la mouvance dite décoloniale, dont le manifeste de Houria Boutledja, Les Blancs, les Juifs et nous[15], peut nous donner une idée fort précise – son titre parle de lui-même.

On sait que ce statut personnel fit des Algériens des sous-citoyens – pas d’égalité civique –, soumis sur un certain nombre de questions au droit musulman (charia) et non au droit de la République. Mais ce que l’on sait moins, et que révèle l’enquête de M. Weitzmann, est que ce statut catastrophique du point de vue de l’égalité républicaine est le fruit d’une curieuse alliance entre un étrange personnage du nom d’Ismaÿl Urbain, métis guyannais converti à l’islam, émissaire de Napoléon III en Algérie, et les imams conservateurs locaux. Une histoire passablement ambiguë, que retrace l’auteur, et dont les traces en forme de cercle vicieux apparaissent aujourd’hui actives dans les positions non moins ambiguës de la mouvance décoloniale que nous venons d’évoquer, ouvertement anti-républicaine, anti-laïque, anti-moderne : anti-« Occident » en un mot – et fondamentalement antisémite. Un antisémitisme qui a trouvé à se renouveler autour de la question palestinienne. Mais dont l’implantation dans le monde arabo-musulman vient de plus loin, et a transité, montre M. Weitzmann, par les écrits, dès 1942 d’un autre converti, étonnamment proches dans les positions qu’il y développait de celle d’I. Urbain. Il s’agit du propagandiste antisémite nazi Johann von Leers. Johann von Leers qui, comme quelques autres, trouva à se recycler par la suite, et fut nommé par Nasser, après l’indépendance de l’Égypte en 1956, comme conseiller spécial pour l’expulsion des Juifs. Il supervisa ensuite l’édition en arabe du Protocole des Sages de Sion. Ce même personnage inspira le néofasciste Claudio Monti, lequel fut l’un des maîtres à penser d’A. Douguine.

Et l’on voit se boucler quelques inquiétantes boucles.

Nous avons choisi de mentionner, entre tous, ces trois méandres du livre de M. Weitzmann non seulement pour souligner ce qu’ils nous permettent d’apprendre de particulièrement utile pour éclairer notre présent dangereusement confus, et pour les directions de réflexion qu’ils ouvrent – comme l’ouvrage tout entier –, mais aussi parce que leur hétérogénéité apparente témoigne de l’étendue pourrait-on dire rhizomatique des sources, actives, d’une haine dont l’antienne antisémite, ferment empoisonné, est très loin d’être aujourd’hui tarie, comme le démontrent ces résurgences renouvelées. Méconnaître cela – ce « fait effrayant » – serait nous exposer, avec la légèreté inconsidérée du déni, au pire.

Lequel n’est pas toujours sûr – pourvu qu’on prenne le temps de l’étude, de l’analyse et de la réflexion. Telle est la première et impérative condition d’une résistance, résolument incroyante, au désastre annoncé. Le livre de Marc Weitzmann, en s’attelant à cette tâche, nous invite, avec force, avec clarté, à la poursuivre.

Sabine PROKHORIS



      [1] "https://www.nouvelobs.com/politique/20181222.OBS7538/la-quenelle-antisemite-de-dieudonne-au-menu-des-gilets-jaunes.html">https://www.nouvelobs.com/politique/20181222.OBS7538/la-quenelle-antisemite-de-dieudonne-au-menu-des-gilets-jaunes.html
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/12/23/01016-20181223ARTFIG00067-enquete-apres-une-agression-antisemite-commise-par-des-gilets-jaunes-dans-le-metro.php
  [2] "https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/20/les-references-ambigues-de-francois-ruffin_5400460_823448.html">https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/20/les-references-ambigues-de-francois-ruffin_5400460_823448.html Du côté de La France insoumise, seule Clémentine Autain avec un certain embarras, prenait ses distance, expliquant qu’elle était peut-être « trop sensible » aux dangers des « dérives rouges-bruns ».     [3] Youtube le 31 mai, [4] visible dans la vidéo à 46 minutes. [5] La Croix, 29 novembre 2018. Plusieurs députés LREM ont également été injuriés de cette façon, plusieurs fois agrémentée de quelques variantes ordurières. [6] Il faut dire que quand un dirigeant politique qui prétend représenter la « vraie gauche » nous explique qu’il faut dorénavant que la gauche « décomplexée » – élément de langage clairement emprunté à la droite la plus dure – s’adresse aux « tripes » plutôt qu’à la raison, on peut s’inquiéter. https://www.liberation.fr/direct/element/europeennes-benoit-hamon-veut-faire-une-campagne-de-gauche-decomplexee_91629/   [7] Voir Vincent Duclert, https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/24/gilets-jaunes-en-matiere-d-antisemitisme-tout-est-a-craindre-et-les-strategies-d-occultation-sont-un-leurre_5401843_3232.html   [8] Depuis en tout cas l’affaire Rushdie en 1989. Parmi de très nombreux exemples, la situation de la Pakistanaise Asia Bibi a de quoi faire réfléchir sur les tentations occidentales, dument validées par diverses instances judiciaires civiles nationales et internationales, d’accommodements avec les exigences des fondamentalistes religieux au nom de la « paix religieuse ». [9] Voir à ce propos un curieux billet de Benoît Hopquin publié dans Le Monde daté du 1er décembre 2015 sous le titre quelque peu lyrique « Morts au champ d’honneur ». L’éloge funèbre des victimes des divers attentats qui ont endeuillé la France depuis les crimes de Mohamed Merah en 2012 jusqu’aux carnages du 13 novembre, en passant par les attentats de janvier 2015, y est étrangement sélectif sous la plume du chroniqueur, et témoigne d’une vision de la nation (puisqu’on nous parle de « champ d’honneur »)  pour le moins restrictive. S’agissant en effet des crimes de Mohammed Merah, l’auteur nomme les militaires « beurs » assassinés, mais omet les victimes de l’école juive – de jeunes enfants pour trois d’entre elles –, et s’agissant des attentats de janvier, il n’évoque, comme victimes, ni les journalistes de Charlie Hebdo, ni les clients de l’hypercasher : seulement Franck Brinsolaro, policier chargé de la protection de Charb, Ahmed Merabet, policier du 11èmearrondissement tué le même jour Bd Richard Lenoir, et Clarisse Jean-Philippe, gardienne de la paix assassinée le lendemain à Montrouge (un “Blanc”, un “Beur”, une “Black”, si on comprend bien). Sa belle “diversité” black-blanc-beur n’inclut manifestement pas les juifs (ni les journalistes de Charlie Hebdo). Ainsi gomme-t-il tout bonnement de son propos certains des assassinés.   [10] On pourra aussi se reporter, en lien avec le présent ouvrage, au livre de Pierre Birnbaum, Sur un nouveau moment antisémite – Jour de colère, Fayard, 2015. [11] À cet égard, la lecture du récent ouvrage de François Rastier, Heidegger, Messie antisémite, offre l’éclairage d’une généalogie philosophico-politique de ces courants antisémites anti-modernes qui rejoint et complète utilement les analyses de Marc Weiztmann. Sur le point précis de l’idéologie islamiste en sa dimension géopolitique, les deux ouvrages de Jeanne Favret-Saada, Comment produire une crise mondiale avec douze petits dessins, Les Prairies ordinaires, 2007, rééd. augmentée d’une postface sur les attentats de janvier 2015, Fayard, 2015, et Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU – Droits humains et laïcité, L’Olivier, 2010, sont également de très précieuses contributions, et fort précisément documentées. [12] Un temps pour haïr, p. 116, sq. [13]On se souvient du héros criminel inoubliablement interprété par un Jack Nicholson, terrifiant et terrifié : il n’aspire qu’à la gloire, mais ne parvient jamais qu’à indéfiniment écrire, sur des milliers de lignes, une même phrase : « All work and no play make Jack a dull boy ». Ça se termine très mal pour lui comme on sait. [14] Cette technique d’inversion ne va pas sans présenter de troublantes affinités avec certains tropes de la déconstruction, issus en droite ligne du heideggérianisme – notamment le retournement du discours en ce qui l’inverse et devient alors comme par magie « vrai », et vice versa, c’est selon. On se reportera  pour plus de précisions aux analyses de François Rastier, op. cit., en particulier le chapitre « Heidegger chez le islamistes », p. 119, sq. Plus globalement, cette mouvance intellectuelle d’inspiration heideggérienne, qui revendique sa « radicalité », nourrit également nombre de courants ouvertement identitaires et populistes, des extrêmes droites aux extrêmes gauches, comme le montre également F. Rastier. [15] La Fabrique éditions, 2016.