Gilles CLAVREUL, Jean GLAVANY - 10 Avr 2020

Identités et systèmes de valeurs

Monsieur le Président, ne placez pas la laïcité entre parenthèses

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Dans toute situation exceptionnelle, il est des renoncements douloureux mais nécessaires, car il en va de la survie individuelle et du salut collectif. Il en est ainsi du confinement, et chacun en constate la nécessité.

Pour autant, il ne saurait être question de mettre en parenthèses certains de nos principes les plus essentiels, surtout lorsque ces principes ont pour vocation de réaliser ce dont nous avons absolument besoin pour vaincre collectivement la pandémie : l’unité nationale. C’est sans doute en s’inspirant du Clemenceau chef de guerre, visitant régulièrement les troupes en première ligne, soucieux de leur témoigner sa solidarité et d’unir le pays derrière eux, que le chef de l’Etat a placé son allocution du 16 mars dernier ; et c’était bienvenu.

Cette inspiration première, le chef de l’Etat s’en est cependant écarté à l’approche des fêtes de Pâques, en s’adressant aux croyants des religions monothéistes – et uniquement à eux -par message publié le 8 avril sur son compte Facebook. Ce message, par lequel le Président s’inquiète des contraintes qui pèsent sur nos « vies spirituelles », comporte trois erreurs.

La première est de limiter la spiritualité et la transcendance aux seules religions. Or, la vie spirituelle n’est pas le propre des seuls croyants ; les interrogations métaphysiques, le rapport au deuil et à la mort, la réflexion éthique traversent toutes les civilisations, tous les courants de pensée, toutes les cultures. Elles sont le bien commun de l’homme, croyant ou pas.

La deuxième erreur est de s’adresser aux juifs, aux chrétiens et aux musulmans, et à eux seuls, entrant dans une logique de reconnaissance des cultes, ou plutôt de certains cultes, contraire à l’article 2 de la loi du 9 décembre 1905. Dans le même esprit, le ministère de l’Intérieur vient quant à lui d’annoncer que le numéro vert gouvernemental d’information sur le Covid 19 permettrait dorénavant aux croyants d’entrer en contact avec des ministres du culte de leur choix, conformément à une demande de leurs représentants. Un tel dispositif a déjà été mis en place pour le secteur hospitalier, ce qui pouvait encore se concevoir compte tenu de l’existence légale des aumôneries dans ce service public. En revanche, l’Etat ne peut se faire l’opérateur de la mise en contact de croyants avec des religieux – et encore, nous y insistons, de certaines religions et pas d’autres – sans méconnaître le principe de séparation des Eglises et de l’Etat, qui suppose la non-reconnaissance des cultes.

La troisième erreur, conséquence des deux premières, est qu’en souhaitant de bonnes fêtes aux seuls croyants des trois monothéismes, le chef de l’Etat a parlé à certains Français en oubliant tous les autres. Faut-il rappeler que ces fêtes, si elles sont des moments forts de la vie religieuse, ont également acquis, dans une société sécularisée, une dimension culturelle, festive et familiale ? Elles sont un temps de fête qui se confond avec les vacances scolaires et le printemps retrouvé, et qui rassemble les générations, au-delà de leur signification religieuse, et indépendamment des convictions de chacun. Pourquoi ne pas adresser aussi une pensée particulière aux millions d’enfants et de familles privées de la chasse aux œufs en chocolat ?

Le 31 mars 1988, lors d’une émission télévisée, le Président François Mitterrand avait souhaité de bonnes fêtes de Pâques aux Français : « Pâques, cela a une signification symbolique, depuis des milliers d’années. C’est passé de la religion juive, cela y est resté, à la religion chrétienne, et nous sommes de cette culture-là. Alors je leur dis « Joyeuses Pâques », vous, tous les Français. Je ne choisis pas. ». A son exemple, Emmanuel Macron aurait pu s’adresser à tous les Français, sans choisir entre eux.

Le temps n’est pas à la polémique, mais à l’union. Notre intervention ne vise pas à ouvrir une controverse, mais à rappeler les principes qui permettent précisément à la Nation de se rassembler. Dans la mémoire longue de notre pays, les guerres de religion sont un foyer ardent que seule la laïcité a pu mettre en sommeil. Ne le ravivons pas.