Mara GOYET - 12 Juil 2018

Société de la connaissance

Éducation : sortir des postures

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L’Aurore reprend l’intervention de Mara GOYET lors de la réunion de lancement, le 29 juin dernier à l’Assemblée nationale. Ni rigide, ni molle, mais à la fois ferme et souple : telle est la ligne de conduite proposée par Mara GOYET pour sortir des débats stériles entre partisans de l’autorité des disciplines et adeptes de la « pédagogie ».

  On m’avait prévenue, c’était il y a fort longtemps : quand on descend dans la fosse des débats éducatifs, il ne faut pas s’attendre à tomber sur les lions herbivores.

Les querelles scolaires, en France, sont un sport de combat. Elles sont anciennes, violentes, répétitives. Elles sont nécessaires et prévisibles, aussi, tant les enjeux sont grands et puissants. Nous les avons tous à l’esprit, mais il n’est pas inutile d’en faire une liste sans doute peu exhaustive.

Ces enjeux nous concernent tous : instruire et éduquer tous les enfants d’une nation, leur offrir ce qu’il y a de plus beau, utile, inutile, aussi, et raffiné (à l’image du bureau de Clemenceau dans son appartement à Passy) tout en leur donnant les moyens de se l’approprier et d’en faire bon usage, transmettre la culture et les humanités à de jeunes esprits qui ne se lèvent pas le matin en rêvant de connaître la différence entre la tenure et la réserve à l’époque féodale (des gens sont là pour susciter ce désir, les enseignants dont le métier est un art impossible, grand et varié et dont la formation devrait être revue de fond en comble), garantir la réussite de la transmission, des apprentissages, sur le territoire en dépit des terribles inégalités de départ, géographiques, familiales ou individuelles, permettre l’émancipation de chacun,  transmettre les valeurs de la République, ce qui suppose aussi et tout d’abord de les faire vivre, car ne l’oublions pas, c’est au système éducatif d’être le plus républicain de tous (faire apprendre la Marseillaise aux élèves, pourquoi pas, mais, pour que cela soit vraiment intéressant et pertinent, cela demande une certaine technique et un peu de longueur de vue ; la priorité, c’est, avant tout, d’ exiger de l’Education nationale qu’elle respecte les trois termes de notre devise : liberté, égalité, fraternité. C’est une banalité de le dire mais cela va mieux en le disant : on en est loin). J’en oublie, sans doute…

L’Education est évidemment un enjeu républicain de taille, il est normal qu’elle soit entouré de tensions dans la mesure où personne n’a encore trouvé la solution éternelle ni miraculeuse pour que cela marche et dans la mesure, aussi, où le niveau de difficulté, il est important d’insister sur ce point, augmente année après année : le collège unique est encore jeune et le défi, magnifique et parfaitement républicain, qu’il nous lance, n’a pas encore été tout à fait relevé. C’est le moins que l’on puisse dire.

Même s’il y a d’évidentes continuités et permanences, s’il y a un temps long de l’éducation, notamment dans les exigences et les contenus ou dans l’organisation de l’Education, ce qui marchait en 1925, en 1952 ou en 1984 ne marche plus tel quel en 2018. Cela vaut pour les enfants comme pour nous, d’ailleurs : quel adulte souhaiterait devoir se conduire comme un adulte de 1920 ?

Rappelons que l’Education entretient des liens avec la vie, l’époque et la société dans laquelle elle se déploie ; elle s’adresse à des jeunes, à des générations qui ont des visions du monde, des connaissances, une culture, des réflexes qui sont ce qu’ils sont, on peut en penser ce que l’on veut, mais qui sont là. Pour cela, on ne peut se contenter de regarder la culture et le savoir d’un côté, la jeunesse de l’autre, il faut, à moins d’accepter de faire semblant et de renoncer à toute efficacité, élaborer des maillons intermédiaires de l’un à l’autre ; c’est l’un des angles morts du système. On n’enseigne pas, en effet, contre les élèves, sans les élèves, malgré les élèves mais avec eux. Avec amitié, parfois, pour reprendre les mots de Jean-Pierre Vernant qui n’avait rien d’un démagogue ni d’un homme laxiste.

A vrai dire, en éducation, la tâche est toujours à refaire et l’attention doit être constante même si l’on peut se reposer sur une puissante tradition belle et solide mais néanmoins truffée de défauts dont il faudrait se débarrasser au lieu de les chérir. Voilà pourquoi, bien que les enjeux soient glorieux, la situation est souvent angoissante, problématique voire tragique. C’est pourquoi, encore, les querelles éducatives sont inévitables : elles traduisent ce trouble. A défaut de traduire la réalité des classes.

Le problème, en effet, c’est que ces querelles se figent, deviennent la caricature d’elles-mêmes et rendent inaudibles des questionnements et débats plus légitimes et plus en rapport avec ce qui se trame réellement dans les établissements, lors des heures de cours. La plupart des professeurs en conviennent : l’opposition préhistorique entre pédagogues et républicains ne divise pas les salles des professeurs, cela ne se passe pas comme cela, sur place. L’opposition entre ceux qui croient en la possible éducabilité des tous les enfants (idée de gauche s’il en est, idée à laquelle je souscris définitivement) et ceux qui n’y croient pas, reste, elle, fondamentale.

Pour le reste, quand on suit les querelles, on se dit toujours que, de fait, c’est plus compliqué, tellement plus compliqué. Les postures et les guerres de tranchées, la déploration qui tourne sur elle-même comme le déni, ne sont que des solutions de facilité qui, malheureusement, infusent la société et contaminent les décideurs qui ont parfois, mais pas toujours, tendance à préférer les gros traits de la caricature à la subtilité d’une réalité difficile à attraper.

A terme, les crispations autour de l’école finissent par - pour reprendre la fameuse et parfaitement pertinente distinction de Charles Péguy dans sa note sur Bergson (ferme et souple / rigide et mou)-, rendre les débats rigides. Chacun reste sur sa position en dépit du réel, chacun s’adonne à la pensée magique : l’un croit qu’il ne faut voir qu’une seule tête ou que l’uniforme va sauver les enfants, l’autre jure qu’associer un prof de SVT et une prof de math est la solution (n’ayons pas peur des caricatures !). Non seulement cela rigidifie les débats mais cela rend aussi les perspectives molles : on piétine autour de slogans ou de gadgets inopérants quand il faudrait être ferme sur ce que l’on souhaiterait : une école vraiment républicaine. Authentiquement républicaine.

  Il faut donc être ferme : sur les valeurs, sur les contenus, sur l’égalité, sur le constat que l’on fait sur place, dans les classes, sur l’ordre qui ne se réduit pas à ses ridicules simulacres martiaux (c’est juste qu’on n’apprend pas dans le désordre, le bruit et la fureur), sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, le sexisme ou l’homophobie, sur la rigueur dans les objectifs, sur la laïcité et sur la responsabilité, mot excessivement peu employé, presque oublié, que l’on a vis-à-vis de la jeunesse, toute la jeunesse, même celle qui n’est pas sage, même celle qui ne se revendique pas républicaine (l’élève n’est jamais un ennemi), sur l’urgence (une scolarité c’est vite passé), sur le caractère insupportable des inégalités, des conditions de vie de nombreux enfants, de l’ambiance de certains établissements et mille autres choses dont je ne vais pas faire la triste litanie.

Il faut aussi être souple, pour reprendre encore et toujours Péguy. Ou malin, ou rusé. Il faut, en tout cas, que chacun paie de sa personne pour y arriver. Enseignants, parents, amis, médecins, policiers et autres, nous sommes tous embarqués. C’est cela aussi l’exigence républicaine : donner de sa personne pour transmettre, éduquer et instruire. Il ne s’agit pas de se sacrifier mais de ne pas oublier que, dans ces métiers, on est là pour la jeunesse, non pour se contempler narcissiquement dans le miroir en hussard vintage.

Alors, oui, parfois, enseigner c’est austère, sérieux aux sourcils froncés mais c’est aussi, souvent, un sketch. C’est faire flèche de tout bois, c’est, pour donner envie d’aller voir les musées, regarder un clip de Beyoncé qui va au Louvre, des décennies après Gervaise ou Anna Karina, c’est imaginer des combines pour que les élèves apprennent, c’est improviser, changer d’idée, faire les programmes de manière judicieuse. C’est varier les approches, sortir, prendre l’air, entamer des digressions. Enseigner c’est tout faire pour que ça marche, pour que ça passe, peu importent les écueils d’un ridicule inévitable (ceux qui ont regardé mille fois le film PROFS, chef d’œuvre s’il en est, se reconnaitront) ou la certitude de ressembler parfois davantage à MacGyver qu’à l’instituteur de son grand-père. Donner de sa personne, chercher à être efficace, tenir compte du contexte sans perdre vue les objectifs (transmettre, et pas n’importe quoi) ne vous rendra pas moins intellectuel, républicain ou enseignant à la fin. Simplement plus efficace, juste et pertinent.

Il faut donc être républicain en acte et en action, chaque jour : la République ne se loge pas dans l’amidon de son costume. Personne n’a dit que la République se devait être triste et sans imagination. Clemenceau l’a prouvé. Nous devons faire de même.

Ferme et souple, j’espère que c’est ce que ce l’Aurore sera. J’espère qu’il sera un lieu d’échange paisible mais passionné, authentique et constructif, loin des postures et au plus près des classes, entre des gens, par forcément d’accord, qui ont vraiment à cœur le destin éducatif de notre pays et qui seront capables de s’écouter et de faire preuve de bonne foi, c’est si rare publiquement, si fréquent autrement. J’espère qu’il permettra, autour d’un constat partagé, ce qui ne veut pas dire qu’il sera consensuel, de faire des propositions valables et de donner des aperçus pertinents.

Ce lieu, nous sommes nombreux à trouver qu’il manque : j’espère ontologiquement, métaphysiquement et modestement que l’Aurore sera celui-là.

  Auteur : Mara GOYET, professeur d’histoire-géographie, auteur
Mots-clés : Education, école, pédagogie