Jean GLAVANT - 14 Mai 2021

Institutions, ressources et territoires

10 mai 1981 : Premiers jours à l’Elysée

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Jeune collaborateur du candidat MITTERRAND, Jean GLAVANY devient chef de cabinet du Président de la République, après la victoire du 10 mai 1981. Il nous livre ses souvenirs de ces journées si particulières, la prise en mains de l'appareil d'Etat, et les petites surprises qu'elle réserve...

1O mai 1981 à 18h30 : nous sommes à l’hôtel du Vieux Morvan et j’assure la permanence téléphonique dans la petite chambre 15 au premier étage, celle « habituelle » de François Mitterrand où l’on a fait installer une ligne directe. Celui qui n’est encore que le candidat pour quelques minutes encore est au rez-de-chaussée, devisant agréablement dans la grande salle de l’hôtel avec des amis et journalistes venus là librement. Le téléphone sonne, c’est Lionel Jospin : "Tu peux dire au Président qu’il est élu. Tous les instituts de sondage le donnent gagnant avec 51 ou 52%". Je raccroche le cœur battant et dévale l’escalier pour retrouver François Mitterrand dans la petite foule: il discute avec quelques amis dont le journaliste Ivan Levaï et s’est lancé dans une grande tirade -que je connais par cœur tant, depuis quelques années je l’ai entendue dans sa bouche- sur la forêt du Morvan, forêt de lumière, de hêtres et de chênes, menacée par la course folle au profit qui la voit envahie par les résineux...je n’ose l’interrompre mais mon pouls bat de plus en plus fort et mon secret me bat les tempes ! Enfin, il s’arrête et je me penche à son oreille : "je viens d’avoir Lionel qui me dit que vous êtes élu puisque ... ". Pas une ride ne bouge sur son visage ! Pas l’ombre d’une expression ou d’une émotion ! Une maitrise de soi incroyable.. « Bon », me dit-il, « nous verrons cela tout à l’heure » ...et il reprend son raisonnement sur la forêt du Morvan ! Mais Ivan Levaï qui a compris ce que j’étais venu dire au Président l’interrompt: « non mais qu’est-ce qu’il est venu vous dire le jeune Glavany »?! C’est alors que Danièle Molho, journaliste du « Point » rentre dans la salle en criant « vous avez gagné! »...le délire collectif peut commencer

10 mai 1981 donc: victoire de François Mitterrand et de la Gauche après 23 ans d’opposition. La fête place de la Bastille.

12 mai : Pierre Bérégovoy fait savoir à quelques-uns d’entre nous qu’une antenne présidentielle va s’installer au 6, rue de Solférino, à quelques mètres du siège du PS, pour préparer la transition, et que nous y sommes requis. Dans un grand appartement sombre et incommode, pendant quelques jours nous allons nous retrouver là à faire face à différentes tâches : « Béré » avec André Rousselet va préparer la passation des pouvoirs, Hubert Védrine est submergé par les messages diplomatiques venus du monde entier auxquels il faut répondre, Michel Charasse pond note sur note pour éclairer le nouveau Président sur ce que disent la Constitution et les lois organiques sur la période de transition, Nathalie Duhamel doit faire face à l’impatience décuplée des journalistes, des économistes du PS planchent sur la situation du Franc, très vivement attaqué sur les marchés depuis la veille et moi, à la demande de Béré, je passe mes journées à recevoir nombre de personnalités qui ont demandé audience pour diverses raisons et, en particulier, pour déposer une candidature...

21 mai : la passation de pouvoirs, la cérémonie à l’Elysée, l’accolade émouvante du nouveau Président avec Pierre Mendès-France et, le soir, la remontée à pied de la rue Soufflot et la cérémonie du Panthéon.

Lors du déjeuner officiel à l’Elysée, au milieu des 200 personnalités venues du monde entier et de tous les horizons de la culture, avec quelques autres membres de l’équipe de la campagne présidentielle, un huissier me remet un pli : « Réunion demain matin à 9h dans le bureau du Président ».

22 mai à 9h : nous sommes 9 autour du Président , 10 avec lui qui vient de choisir son bureau, délaissant celui de Giscard dans la partie Est du 1er étage et s’installant dans l’ancien bureau de De Gaulle et Pompidou, au centre du bâtiment. Il y a là Pierre Bérégovoy, André Rousselet, Jacques Fournier, Jean-Claude Colliard, Michel Charasse, Hubert Védrine, Michel Vauzelle, Nathalie Duhamel et moi...ce sera la première et dernière réunion « de cabinet » autour de lui, tant d’une part il détestait la réunionnite et, d’autre part il considérait qu’un cabinet n’avait pas de légitimité particulière. A part le Président, aucun d’entre nous n’avait jamais exercé la moindre responsabilité dans l’appareil d’Etat ! Nous découvrions la lune....en commençant par ce Palais de l’Elysée, mythique, majestueux, silencieux et vide. Nous étions dans un ascenseur avec un homme qui était monté au dernier étage. Nous nous y retrouvions à ses côtés....

La réunion ne dura pas longtemps, une demi-heure peut-être. Le Président nous annonça nos nominations et, en quelques mots à peine, exposa ce qu’il attendait de nous: «Pierre Bérégovoy vous serez Secrétaire Général...André Rousselet, Directeur de cabinet, Jacques Fournier Secrétaire général adjoint.... Quand vint mon tour, j’entendis ces mots « Glavany, vous serez mon chef de cabinet, vous gèrerez mon agenda et mes déplacements mais je veux aussi que vous gardiez le lien avec le parti et ses élus. Bien sûr, je le ferai moi-même, Pierre Bérégovoy aussi mais je vous demande de veiller au quotidien à l’associer étroitement ». Je me souviens d’une seule intervention de l’un d’entre nous, celle d’André Rousselet qui, apprenant ma nomination demanda : » Le jeune chef de cabinet est bien placé sous mon autorité ? ». « Non il sera rattaché directement à moi... »

Sortant du bureau présidentiel, nous fûmes confrontés à deux ou trois problèmes concrets : d’abord, découvrir les lieux...le Palais de l’Elysée n’est pas très grand mais il est organisé en trois parties . La partie centrale avec les salons de réception et la salle du Conseil des Ministres au rez-de-chaussée et 4 ou 5 bureaux à peine au 1er étage dont celui du Président, son secrétariat, et celui du Secrétaire Général, et deux ailes placées à l’Est et à l’Ouest. Mais il est truffé comme toutes les anciennes bâtisses, de multiples couloirs, recoins et escaliers qu’il nous fallait maîtriser.

Ensuite, le choix de nos bureaux. Après quelques hésitations et installations provisoires qui durèrent plusieurs jours, il fallut se rendre à l’évidence : les murs et les personnels avaient leurs habitudes et leurs fonctionnalités. Le bureau du porte-parole c’est celui-ci, le bureau du chef de cabinet c’est celui-là...

Enfin, la question des personnels de secrétariat. Dans chaque bureau, attendaient deux secrétaires qui étaient celles de nos homologues dans l’équipe du précédent Président, Giscard d’Estaing...que devions-nous faire ? Le Président trancha très vite : « on les garde toutes et on leur fait confiance ! Imaginez la campagne de presse si on les renvoyait dans leurs administrations d’origine...sans parler de la désorganisation et le temps pour les remplacer. Faisons confiance à leur loyauté et s’il advient que cette confiance est trahie il sera temps d’en tirer les leçons ». Cette leçon de sagesse fut aussi une leçon d’efficacité. C’est ainsi que je me retrouvai avec les deux collaboratrices du chef de cabinet de Giscard. L’une d’elles restera à mes côtés plus de trente ans et est devenue une amie très chère.

Les premiers jours de la vie à l’Elysée furent marqués par un ou deux évènements de « mise en jambes » assez révélateurs : il se trouve que la première sortie officielle du nouveau chef de l’Etat devait être la visite du salon aéronautique du Bourget, le vendredi 5 juin. Comme j’avais appris que chaque déplacement présidentiel était précédé d’une « mission préparatoire » conduite par le chef de cabinet et composée des différents services concernés ( sécurité, presse, protocole, télécommunication, santé etc...) je proposais de m’y rendre préalablement mais Pierre Bérégovoy m’expliqua que l’affaire était gérée par l’Etat- Major particulier, dirigé par le général Saulnier, un aviateur connaisseur - ô combien !- du salon du Bourget...

Mais la visite se passa mal. D’une part les services de sécurité, dépourvus de la moindre consigne en firent trop : des barrières partout, impossible pour la foule d’approcher le Président à moins de 100 mètres. D’autre part « on » avait demandé de retirer tous les armements habituellement placés sous les ailes des avions de chasse. On ne saura jamais qui fut ce « on » si ce n’est qu’il ne s’agissait pas d’un ordre de l’Elysée et que celui des organisateurs qui en prit la responsabilité crut bien faire...

Résultat, pour ces deux raisons, la presse du lendemain fut catastrophique : « le Président coupé de la foule par des mesures de sécurité exceptionnelles » et « Cachez ces armes que je ne saurais voir » étaient les thèmes largement repris par tous les médias. Le Président m’appelle pendant le week-end : « vous avez vu cette presse ? Bon, il faut répondre à notre façon. Pas sur le point des armements, une bêtise à laquelle il ne faut pas répondre par une autre bêtise mais sur les mesures de sécurité idiotes. Voilà ce qu’on va faire. Je suis chez mon ami Henri Michel dans la Drôme pour le week-end et lundi après-midi, je vais aller à la mairie de Montélimar rencontrer le maire, l’ami Maurice Pic. Débrouillez-vous pour qu’il y ait beaucoup de monde et qu’on ne voit ni barrière ni présence policière. Je veux un bain de foule »...

Le lundi matin, je conduisis donc sur place la première « mission préparatoire » de ma nouvelle vie de chef de cabinet du Président à laquelle, par amitié et par curiosité, Michel Vauzelle, porte-parole de la présidence et Nathalie Duhamel, chef du service de presse, décidèrent de m’accompagner. J’ai raconté par ailleurs le vécu étonnant de cette expérience et, en particulier cette grande réunion à la préfecture devant des dizaines de fonctionnaires qui m’abreuvaient de questions en tous genres auxquelles je répondais comme je le pouvais. Je n’avais qu’une obsession : qu’on ne voie aucun uniforme de policier à l’horizon...

Pour le monde attendu, je n’avais aucune inquiétude car nous étions en plein « état de grâce » et que j’avais passé mon week-end à mobiliser les élus et les fédérations du Parti socialiste au plan départemental et régional qui réagissaient avec enthousiasme : ils avaient la primeur d’un déplacement présidentiel en province!..

L’après-midi se passa bien, très bien, presque trop bien. La foule était là, nombreuse, enthousiaste, très enthousiaste. Trop enthousiaste...les mouvements de foule étaient là, angoissants. Gaston Defferre nous prit par les bras, Vauzelle, Charasse et moi en nous intimant l’ordre « serrons-nous les coudes et faisons en barrage de protection du Président » ce que nous fîmes tant bien que mal au prix de nos costumes déchirés. Mais le Président sortit de cet épisode heureux : son premier déplacement de Président élu dans une province de France avait été triomphal....

Enfin les difficultés pouvaient commencer selon la belle formule de Bracke-Desrousseaux.

Jean Glavany, ancien chef de cabinet de François Mitterrand à l'Elysée