Gilles CLAVREUL - 4 Oct 2018
Emmanuel Macron a-t-il d’ores et déjà perdu la main ? Il est certes trop tôt pour le dire. Mais encaisser presque coup sur coup la démission des deux ministres les plus importants dans l’ordre protocolaire, après avoir subi pendant de longues semaines la tempête Benalla, sans jamais avoir trouvé la parade, cela fait beaucoup pour un Président dont les partisans sont passés si vite de l’euphorie de mai 2017 aux déconvenues d’aujourd’hui. Or Emmanuel Macron doit s’employer sur plusieurs fronts simultanément : nommer place Beauvau un ministre qui tienne solidement les rênes de son ministère, dans un contexte de risque sécuritaire très élevé, mais aussi repenser un dispositif gouvernemental dont on disait ici, après la démission de Nicolas Hulot, qu’il laissait entrevoir quelques trous dans la raquette. Le Président aurait pu remanier en profondeur à ce moment-là : aujourd’hui, non seulement il le peut, mais il le doit. Il doit aussi redresser une image personnelle brouillée. Corrigeant à l’excès une posture initiale par trop roide, le Président est parfois tombé dans une communication plus triviale que chaleureuse et plus condescendante que sincère. Cela étant, il faudra bien plus qu’une équipe gouvernementale remodelée et une communication professionnalisée pour retrouver la confiance, déjà entamée, des Français. Conscient que ses traits d’image sont pour partie fixés et que le vivier des ministrables n’est pas si riche, le Président conserve un atout, son audace réformatrice et le courage qui lui est reconnu pour aller au bout de ses idées. Aussi lui faut-il garder le rythme en matière de réformes et continuer à corriger le mauvais effet des exonérations fiscales accordées aux « premiers de cordée », comme il l’a fait avec le plan pauvreté et le plan santé, démarches plus abouties et mieux pensées que les annonces cosmétiques sur la politique de la ville. Encore devra-t-il se garder d’en gâcher l’impact par des sorties médiatiques inappropriées. Il lui faudra surtout faire ce qu’il n’a pas su ou voulu faire jusqu’à présent : écouter les élus, renouer avec les corps intermédiaires, prendre à bras le corps la question de l’unité et de la solidarité des territoires, affronter les problématiques identitaires et culturelles – autrement que par petites touches impressionnistes. En somme, il lui faut maintenir le rythme, ce dont on le présume capable ; mais aussi embarquer, faire adhérer, convaincre. Or l’adhésion par le charisme magnétique n’est plus de saison : ce sont des alliés que le Président doit chercher, pas des groupies. Car ce sont des relais solides, parmi les élus, dans la société civile, dans le monde syndical et associatif, chez les intellectuels, notamment, dont il a vraiment besoin. Non seulement pour lui-même, afin de gouverner dans les meilleures conditions et de se mettre en situation de briguer un second mandat. Mais surtout pour répondre à l’interpellation de Gérard Collomb dans son discours de départ : gare à cette France où l’on vit « côte à côte, et bientôt face à face » ! L’élu local chevronné a appuyé là où ça fait mal pour la start-up nation : la méconnaissance des territoires et le manque d’attention à cette société française qui se fragmente. Ce manque de liaison au sol, comme on le dirait d’une voiture dont le châssis peinerait à contenir la puissance, est le véritable talon d’Achille d’Emmanuel Macron. Or il doit impérativement corriger cela. Car le danger sous-jacent de la décomposition politique que nous connaissons depuis plusieurs années, c’est la décomposition du pays lui-même, que le mal-être des classes moyennes et populaires, les tensions identitaires et les inquiétudes face à la mondialisation rendent possible.
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