Lettre aux Européens : et maintenant ?

Jean GLAVANY - 8 Mar 2019

Ainsi, le Président Macron a-t-il publié sa "Lettre aux citoyens d'Europe" , lançant - enfin!...- publiquement et solennellement la campagne des élections européennes qui se tiendront, rappelons-le, dans deux mois et demi à peine. Il était temps !

Sur la forme, chapeau l'artiste ! Un " teasing " de professionnel, un secret bien gardé, une diffusion européenne soignée, de nombreux  Ministres et dirigeants politiques mobilisés dans les médias pour relayer le contenu de la missive, l'opération de communication est exemplaire de professionnalisme . Si j'avais mauvais esprit, je dirais que ces derniers mois, on en avait un peu perdu l'habitude...

Sur le fond, je me garderai de rentrer dans ces débats artificiels des commentateurs qui fleurissent depuis pour savoir , notamment,  si cette tribune marque un tournant ou pas, si cette formule sur l'Europe " protectrice de ses valeurs et de ses frontières " est une concession majeure ou pas. Ou bien pour savoir si cette insistance sur la notion de protection est si nouvelle que ça ? Tout cela ne m'intéresse guère.

Non, ce qu'il faut dire d'abord, c'est que ce plaidoyer pour l'Europe, sur le fond n'est guère critiquable. Il est même bienvenu.

À "l'Aurore" , nous sommes des femmes et des hommes de Gauche, de cette Gauche social-démocrate et réformiste qu'on n'entend plus mais dont notre pays a plus que jamais besoin, républicains dans l'âme, attachés aux valeurs de la République et notamment à cette laïcité républicaine qui est bien plus qu'un simple et nécessaire respect des différences, mais qui est aussi l'engagement de construire notre " commun", et nous sommes européens, profondément européens.

Non pas " européistes " comme trop de ces responsables politiques français  ou européens, de droite comme de gauche hélas, qui à force de croire que " tout ce qui vient d'Europe est bon par essence"  n'ont pas vu le décrochage des peuples transformé en colère et, par leur aveuglement, sont directement responsables de cette crise si profonde sur laquelle je reviendrai.

Non nous sommes des européens convaincus que l'affirmation de François Mitterrand selon laquelle " la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir" est plus juste que jamais mais qu'elle exige force de conviction, lucidité sur l'état véritable de l'Europe et détermination et sagesse pour agir efficacement.

Au nom de cet engagement, de ces convictions, nous ne pouvons que nous réjouir de cette tribune et de son contenu dans ce qu'elle exprime sur le fond des choses et parce qu'elle contient des propositions utiles.

Reste la méthode...

Sur la méthode, je voudrais livrer trois ou quatre réflexions qui sont autant d'interrogations:

- La nature communautaire de l'Union est telle que, quoiqu'on dise et quoiqu'on fasse, toute décision la concernant, a fortiori sur des sujets si importants et graves, ne peut découler que d'âpres discussions et négociations et, au final de compromis. Compromis qui, soit dit en passant, est un concept  qui mériterait d'être réhabilité en politique : loin d'être une compromission, c'est la clef de l'avancée politique. Eh bien l'Europe est un compromis ! Fondamentalement. Pourquoi dis-je cela ? Parce que le programme de Macron , tel qu'il est affiché dans cette tribune et que j'approuve largement, ne sera jamais appliqué en l'état à l'issue de ces discussions, négociations, compromis. Jamais. On ira plus  ou moins loin dans ces directions, on en privilégiera certaines et en abandonnera d'autres. Mais il y aura loin de la parole aux actes. Non pas à cause de Macron mais de par la nature même de l'Europe, n'en déplaise aux " yakafocon". Et la question qui nous interpelle là est celle de la valeur des engagements pris  dans ces conditions et, peut-être, de la nécessité de les formuler autrement, par respect des citoyens qui les entendent. Au risque de voir la parole publique encore plus décrédibilisée. Voilà un vrai sujet me semble-t-il pour les communicants. Les vrais.

- Pour avoir une certaine expérience des délibérations européennes, ayant passé quelques dizaines de nuits blanches  dans des conseils européens, il est un autre aspect des choses que je souhaite aborder ensuite : l'arrogance française. Il faut ne pas avoir fréquenté l'Europe et ses arcanes, parlé librement avec des collègues élus ou Ministres de tous les pays  Européens pour ignorer cette évidence incontournable : les français sont considérés comme arrogants partout en Europe. Et dans des proportions qu'on n'imagine pas. Et c'est là ma deuxième interrogation sur la méthode macronienne : cette interpellation faite aux citoyens européens sur le thème " moi , Emmanuel Macron, je vous dis ce que nous devons faire" ne risque-a-t-elle pas de renforcer ce sentiment ? Je le crains et m'interroge.

- N'éludons pas la question politique : pour avancer un tant soit peu vers ces objectifs, dans ces directions, il faudra s'en donner les moyens politiques. Avec quelle majorité au Parlement européen ? Les conséquences politiciennes obtenues en France - ce ralliement de Raffarin , qui va probablement nous dire que "la pente européenne est rude mais la route est Droite", est sûrement un événement majeur mais enfin...- où cette initiative contribue  à poursuivre la fracturation de la Droite , est-elle transposable en Europe ? Notre Président veut-il désormais s'attaquer au PPE ? Son positionnement politique qu'il veut " central" entre Mélenchon et Marine Le Pen est-il transposable en Europe ?  Cette question de la majorité européenne n'est pas une mince affaire et elle devra être éclaircie dans la campagne.

- Enfin, il est un point sur lequel j'attends des éclaircissements du Président : est-il bien conscient de la très grande profondeur de la crise démocratique européenne, de la défiance des citoyens européens vis-à-vis de l'Union ? Et ses propositions sont-elles à la mesure de cette crise ? Bien sûr il y a sa proposition d'une " conférence" pour en traiter mais, noyée dans le flot des propositions, elle n'apparaît pas avec la priorité qu'elle devrait avoir : tout devrait commencer par ça. Je dis souvent à mes étudiants, qui expriment avec force d'ailleurs cette crise de confiance , que ce n'est pas avec des propositions technocratiques du genre " il faut un Ministre de la zone euro", qu'on va restaurer cette confiance. Je crois à l'inverse,  avec Hubert Védrine qui le martèle depuis des années, que c'est à une véritable " Refondation" de l'Europe qu'il faut travailler et que cela impose un moment solennel, une méthode énergique. Tout devrait procéder de cette " conférence de la refondation"...

  On le voit, une tribune bienvenue, mais qui pose quelques belles questions politiques et de méthode. La campagne est lancée...

  Jean Glavany  

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