Le quinquennat (déjà) à quitte ou double

Gilles CLAVREUL - 12 Avr 2019

Les commentateurs cogitent et s’agitent dans l’attente des annonces que le Président de la République devrait faire dans les prochaines heures, tirant les leçons du Grand Débat National et tâchant de donner une conclusion, souhaitée définitive, à la crise des Gilets Jaunes. Pas sûr, en revanche, que cette fébrilité soit partagée par les Français, et c’est bien le principal souci pour le Président de la République.

Le Président fait face à un exercice impossible : il doit à la fois répondre par le haut à une crise qui vient du bas, réduire l’écart inévitable entre les interpellations soulevées par les Gilets Jaunes et les demandes portées par le Grand Débat, conjurer la déception anticipée par des annonces fortes et surprenantes, et enfin ne pas négliger les questions rentrées, celles qui n’ont pas été posées à haute et intelligible voix par les Gilets Jaunes ni lors du Grand Débat, mais qui sont au cœur des préoccupations des Français – notamment sur les sujets culturels et régaliens. Il devra, par-dessus le marché, rappeler à nos concitoyens que la France est appelée à des échéances importantes en Europe et dans le monde : Brexit, négociations commerciales, situation en Libye et en Algérie, lutte contre le terrorisme…sans oublier les élections européennes.

Le risque pour le Président est triple. S’il est raisonnable, il décevra. S’il est audacieux, par exemple en proposant des mesures fortes sur le plan symbolique, en matière institutionnelle (réduction du nombre de parlementaires, suppression de l’ENA, fusion des conseillers régionaux et départementaux…) ou fiscale (progressivité accrue de l’IR, baisse ciblée de la TVA…), il risque d’être accusé d’une manœuvre de diversion. Sauf surprise, en effet, il ne devrait pas être question de la réforme des retraites, ni plus généralement de toucher à l’architecture de la dépense publique, ou encore, sur un tout autre plan, de lancer des chantiers pourtant souvent évoqués, sur l’immigration, la laïcité ou l’islam. Et s’il annonce des changements structurels, qu’ils appellent ou non une modification de la Constitution, il lui sera difficile voire impossible de ne pas en appeler à une consultation populaire, élections législatives ou référendum, avec tous les risques politiques que cela comporte.

Quelles que soient les options choisies, elles seront discutées et critiquées, ce qui est légitime ; mais elles occulteront aussi, ce qui est beaucoup plus embêtant, des débats démocratiques pourtant essentiels. D’abord, ces annonces viendront percuter un début de campagne pour les élections européennes qui est déjà particulièrement poussif, notamment pour la liste du parti présidentiel conduite par Nathalie Loiseau. Pour Emmanuel Macron, européen ardent, phagocyter l’enjeu européen par des décisions de politique intérieure revient à se tirer une balle dans le pied et à mettre son ancienne ministre des affaires européennes dans un mauvais cas.

Le risque est encore plus grand sur la scène intérieure. Car enfin, lorsque on a entendu le Premier ministre conclure la restitution du Grand Débat National, après l’interminable présentation des consultants enchaînant les Powerpoint, qu’a-t-on retenu ? Des idées d’ordre général sur l’état du pays. Fallait-il vraiment des milliers de réunion et des centaines de milliers de formulaires en ligne pour apprendre que les Français trouvaient qu’ils payaient trop d’impôts, ou qu’on manquait de services publics de proximité ? Non seulement nous n’ignorions rien de tout cela mais, comme signalé plus haut et pour fastidieuse qu’elle soit, la restitution du Grand Débat laisse en arrière-plan bien des questions cruciales.

Aussi secondaire qu’elle paraisse à nombre d’acteurs politiques et aux électeurs eux-mêmes, l’élection européenne pourrait aussi pousser très vite à l’obsolescence les annonces présidentielles, s’il s’avérait que, tant en France que dans les autres pays membres, la tendance à la fragmentation du jeu politique se poursuive au profit des courants contestataires, et notamment de la composante identitaire, autoritaire et populiste qui a le vent en poupe un peu partout, à des degrés divers, dans les démocraties occidentales. Voilà ce que la dispersion et l’effervescence du moment ne devraient pas faire perdre de vue : tous les scrutins électoraux et toutes les enquêtes d’opinion le montrent (mettons que la chute de popularité de Bolsonaro au Brésil fasse provisoirement exception…), les partisans de la manière forte gagnent du terrain partout. Et il ne suffit pas de scénariser l’attente ni de surjouer la solennité présidentielle pour contrer cette tendance de fond. Au contraire : rien ne serait pire que la timidité des actes recouverte par la grandiloquence du ton.

Ce rendez-vous que le Président s'est imposé, ou que les circonstances politiques et sociales lui ont imposé, comme on voudra, a déjà tout d'un quitte ou double.  

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