Gilets jaunes : renouer le fil républicain

Gilles CLAVREUL - 30 Nov 2018

Gilets jaunes : renouer le fil républicain

Pour l’exécutif, le mouvement des Gilets jaunes tourne au supplice chinois : pas d’interlocuteurs avec qui négocier, pas d’organisation à qui faire porter la responsabilité des débordements, pas de clivage politique net qui se dessine. Et désormais, le mouvement enregistre le soutien massif de l’opinion et d’une improbable théorie de people aux profils pourtant dissemblables, de Patrick Sébastien à Bernard Pivot, de Laurence Parisot à Brigitte Bardot, de Michel Polnareff à François-Henri Pinault.


Raison de plus pour considérer ce qui, au sens du mouvement, s’apparente à un début de prise de responsabilité politique. Issue d’une consultation en ligne, une plate-forme revendicative baptisée « Directives du peuple » se donne pour but de rendre compte des doléances du mouvement. On y trouve, sans surprise, des propositions sur les salaires, le pouvoir d’achat et la baisse de la pression fiscale (SMIC à 1300€, retraites à 1200€, indexation des salaires à l’inflation...), des slogans efficaces (« que les gros payent gros et que les petits payent petit »), une forte demande de protection sociale et économique (privilégier le CDI, mettre fin au travail détaché, protection de l’industrie française) mais aussi, c’est moins attendu, des mesures de transition énergétique, des propositions intéressantes et équilibrées sur l’immigration et l’intégration (accueil des réfugiés, reconduite des personnes en situation irrégulière, vraie politique d’intégration). Dernière proposition, qui contredit complètement l’idée répandue que les réformes institutionnelles n’intéressent pas les Français : le rétablissement du…septennat, afin, explique le document, de permettre aux Français « d’envoyer un signal », positif ou négatif, lors des législatives.

Cette plate-forme a sans doute beaucoup de défauts : non seulement on ignore sa représentativité réelle, mais, mises bout à bout, les mesures proposées feraient exploser le budget de la France. Elle dégage pourtant une certaine cohérence politique, autour de l’idée de justice sociale et de demande de protection. Plutôt que d’engager une concertation sur la transition énergétique, dont on mesure chaque jour qu’elle n’est pas le cœur du problème, et qui sera vite préemptée par le dense tissu associatif écolo, le Gouvernement serait inspiré de prendre au mot les initiateurs de cette plateforme, ne serait-ce que pour leur faire prendre conscience du caractère irréaliste ou contradictoire de certaines propositions (baisser les prélèvements tout en augmentant les prestations…) et pour rappeler qu’il a déjà mis en œuvre certaines des propositions, comme le relèvement de l’allocation adultes handicapés. Mais aussi pour leur donner acte, en retour, de cet effort de mise en forme politique de la colère ; il s’agit d’une prise de responsabilité plutôt rassurante en regard des débordements et des tentations de radicalisation.

Voilà, à court terme, de quoi réduire un peu la tension, car l’abandon de la hausse des taxes sur le gazole au 1er janvier, motif initial de la mobilisation, n’est toujours pas dans les options retenues par le chef de l’Etat.

Toutefois, le malaise sous-jacent révélé par les Gilets Jaunes appelle des remaniements bien plus profonds. Ce qu’il traduit, si on a la témérité de le réduire à un seul paramètre, c’est un sentiment croissant de dépossession. L’idée que tous les repères s’effacent, que la technologie et la finance gouvernent, que les nations sont ouvertes à tous les vents, et que le politique n’y peut rien. Dès lors, les élites sont perçues comme une classe inutile, qui protège autant qu’elle le peut ses propres privilèges. Si on ne fait pas confiance aux premiers de cordée, c’est tout simplement parce qu’on les soupçonne d’avoir coupé la corde tout en faisant semblant de tirer.

Une coupure à la fois territoriale, sociale et politique : voilà ce que révèle l'éclat fluorescent des Gilets jaunes. C'est suffisamment grave pour qu'on puisse se permettre d'ignorer ce qui, dans ce mouvement, témoigne d'une prise de responsabilité citoyenne qui, si elle ne dissipe pas la révolte ni n'apporte les solutions magiques que les gouvernants n'ont pas trouvées jusqu'alors, laisse espérer que l'envie de renouer les liens de la République est plus forte que le désir de table rase. Ce n'est peut-être qu'un fil ténu, mais il mérite qu'on le saisisse.  

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