EUROPEENNES J-23 : RASE CAMPAGNE

Gilles CLAVREUL - 3 Mai 2019

EUROPEENNES J-23 : RASE CAMPAGNE



  Divertissement

  « La seule chose qui nous console de nos misères est le divertissement. Et cependant c’est la plus grande de nos misères. ». Si Pascal dit vrai, nous devons être bien misérables, à nous perdre dans tant de débats secondaires, à nous étriper dans des polémiques qui seront oubliées la semaine suivante, et à négliger, ainsi, ce qui chez nous et autour de nous, devrait nous occuper, pour notre salut. « Le bruit et le remuement » - Pascal toujours – dont nous sommes si friands, de quoi étaient-ils faits ces derniers jours ? De la suppression de l’ENA, du parti architectural à prendre pour reconstruire Notre-Dame, des erreurs de jeunesse de Nathalie Loiseau et des propos hâtifs du ministre de l’Intérieur après la tentative d’intrusion de manifestants dans l’enceinte du service de réanimation de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, le 1er mai.

  Aucune de ces questions n’est en soi insignifiante, mais à chaque fois, ce n’est qu’un aspect d’une question plus vaste et plus grave qui fait la controverse, occultant l’essentiel, et c’est le plus souvent la composante personnelle et subjective, ou le versant anecdotique, qui l’emportent. Ainsi de l’incident de la Pitié : certes le choix des mots compte en démocratie, et le premier des responsables de l’ordre public doit, s’il veut inspirer le respect, qualifier les choses au plus près des faits et ne pas s’exprimer avant d’avoir recueilli suffisamment d’éléments. Christophe Castaner n’aurait pas dû se fier au catastrophisme du directeur général de l’AP-HP, bien fébrile en la circonstance. Mais n’est-il pas démesuré d’en faire une « affaire d’Etat » et d’oser des comparaisons avec des régimes dictatoriaux ? N’y a-t-il pas lieu de relever d’abord, et surtout, que l’intrusion d’une foule dans un hôpital, quand bien même – il n’y a aucune raison d’en douter – l’immense majorité de ceux qui la composaient n’avaient aucune intention violente, constitue une mise en danger potentielle des patients, mais aussi une préoccupante désacralisation de la chose publique ?

  Europa Ligue

  Il en va de même pour l’Europe et c’est autrement plus inquiétant. A vingt-trois jours du scrutin, la campagne européenne n’a toujours pas démarré, et peut-être qu’elle n’aura pour ainsi dire pas lieu du tout. Avec des candidats qui semblent avoir été choisis pour leur absence de notoriété, cette campagne fait penser à l’Europa Ligue de football : une compétition désertée par les premiers couteaux qui se déroule jusqu’à la finale dans des stades à moitié vides, loin des grandes affiches. Ces derniers jours, le monde a été secoué par les massacres terroristes au Sri Lanka et la « résurrection » d’Abu Bakr Al-Baghdadi : le terrorisme islamiste, nous dit une enquête de l’European Council on Foreign Relations, est en tête des « menaces » identifiées par les électeurs dans la plupart des pays, dont la France. Dans le même temps, comme le note Jean-Dominique Merchet dans l’Opinion de ce jour, Salvini et Orban consolident leur partenariat et tentent de créer un axe de droite populiste et nationaliste en Europe au détriment du positionnement libéral-conservateur modéré du PPE. Leur crédo ? « Si la gauche continue à gouverner l’Europe, celle-ci deviendra un califat islamique », comme l’exprime crûment Salvini. Fantasme, délire ? Oui, mais peu lui importe : l’enjeu pour le ministre de l’intérieur italien est de frapper les imaginations et d’occuper le terrain sur les sujets qui taraudent les opinions publiques.

  Défis occultés

  Ce qui est vrai de la lutte anti-terroriste l’est aussi des autres grands défis européens, de la stratégie commerciale face aux Etats-Unis et à la Chine à la transition énergétique en passant par l’immigration, l’harmonisation fiscale et sociale, et la régulation numérique. Qu’a-t-on entendu de concret et de fort de la part des candidats pro-européens (et des anti…) de gauche comme de droite ? On ne sait ce qui domine, de la frilosité ou du manque d’imagination. C’est d’autant plus étrange et désolant que, contrairement à la situation qui prévalait encore dans les années post-référendum de 2005, l’adhésion à l’idée européenne a retrouvé ses plus hauts niveaux historiques. Pour une majorité de Français, ce n’est pas l’Europe qui exaspère : c’est son absence sur des enjeux planétaires sur lesquels même les souverainistes savent bien que tout ne peut être résolu dans, ou à partir, du seul cadre national.

  Il y a pourtant de la place pour donner forme et contenu à l’idée d’Europe-puissance, telle que la développe par exemple Hubert Védrine, quitte à amender ou laisser de côté certains aspects. Mais voilà le genre de débats qu’on aimerait, qu’on devrait avoir, maintenant. Faute de quoi cette non-campagne se terminera dans la confusion et le pathétique d’un appel à « faire barrage au populisme », avec un score qui, plus qu’une possible sinon probable première place du Rassemblement national, marquera un nouveau désaveu pour les partisans de l’Europe : celui de l’abstention.

→ retrouver
les différentes
Bloc-notes