ESPOIRS DE CLARIFICATION

Gilles CLAVREUL, Jean GLAVANY - 23 Déc 2020

Sur le front de la laïcité et celui de la lutte contre les remises en cause du pacte républicain, ces derniers mois auront soufflé le chaud et le glacial, donnant tour à tour matière à espoir, effroi ou déploration. Voici que s’achève le procès des attentats de janvier 2015. Chaotique, jalonné d’interruptions et de rebondissements, inséparablement insoutenable et nécessaire aux survivants et à leurs familles, il accouche d’un verdict net : 11 prévenus, 11 condamnés dont 5 pour faits en relation avec une entreprise terroriste, condamnations auxquelles s’ajoutent celles, par contumace, de deux jihadistes en fuite, respectivement à la réclusion criminelle à perpétuité et à 30 ans dont les deux tiers incompressibles. Recouvertes, les provocations des prévenus et de leurs défenseurs ; au moins autant par ce prononcé qui sera de toute façon frappé d’appel, que par la voix ferme et le sourire indémontable de Me Richard Malka. « Ce procès a été un formidable accélérateur de l’Histoire. Il a provoqué une clarification des positions, il a réveillé une société inquiète, il a alerté les consciences », a confié au journal Sud-Ouest l’avocat de Charlie-Hebdo à l’issue du verdict.

Clarification : ce pourrait être en effet le plus grand motif d’espoir de ces derniers mois. Clarification que ce discours du Président du 2 octobre, que nous avions salué. Clarification encore que ce projet de loi « confortant les principes républicains », dont on pourra toujours discuter tel ou tel manque, ne serait-ce que l’attente toujours déçue de ce plan Borloo désormais érigé en mythe, se montrer sceptiques, surtout, sur l’énième tentative de doter l’islam d’une organisation par validation administrative, mais qui marque une ferme volonté de traduire en actes la parole présidentielle, à charge pour les parlementaires, désormais saisis du texte après qu’il eut été largement validé par le Conseil d’Etat, de l’améliorer et de le compléter. Clarification encore que les dissolutions de ces officines qui sapent depuis des années la confiance dans les institutions de la République et s’appliquent à creuser un fossé infranchissable entre les musulmans, qu’ils ont la prétention de représenter, et ce pays, la France, qui est aussi le leur.

Clairs-obscurs

Qu’en est-il des clarifications politiques, intellectuelles, médiatiques ? Là, le tableau est plus contrasté. Saluons d’abord comme il se doit l’ébauche d’une confirmation : le Parti Socialiste poursuit sa convalescence laïque. On s’abstiendra de parler pour le moment de rémission complète, mais disons que la guérison pourrait être en bonne voie : en affirmant sa volonté de replacer la laïcité « au cœur » du projet politique de son parti, et en confiant à Jérôme Guedj, constamment impeccable sur le sujet, l’animation nationale de la réflexion sur la laïcité et les principes républicains, sa direction a montré de la constance depuis la ligne qu’il avait tracée il y a un an, en refusant l’injonction des formations islamistes, CCIF en tête, de manifester le 10 novembre 2019 contre les « lois liberticides » (entendre : celles de 2004 et de 2010, ainsi que les lois anti-terroristes) aux cris de « Allahu akbar ».

Il semble loin, le temps où le prédécesseur de l’actuel Premier secrétaire - qui prône désormais un retour au pacte républicain qui laisse sans voix tant il apparaît comme un nouveau reniement ou une souplesse idéologique infinie...- conseillait à sa direction de ne pas se mêler de Laïcité faute de n’y trouver « que des coups à prendre », ou recevait le même CCIF rue de Solférino, avant de porter à l’élection présidentielle un candidat multipliant les clins d’œil communautaristes, avec le succès qu’on sait… Si on ajoute la tribune courageuse, de retour du Haut-Artsakh, dans laquelle sont dénoncées sans ambage les exactions de la Turquie et de son allié Azéri contre la minorité arménienne, sans doute tient-on là de quoi entamer, enfin, la reconstruction idéologique de cette formation.

Alors pourquoi s’en tenir aux compliments et refuser le tableau d’honneur ? Parce qu’ il demeure une répugnance à abandonner tout à fait une grille de lecture qui, en fait d’être sociale, est surtout « économiciste », qui voit dans la relégation des banlieues la cause principale, sinon unique, de la radicalisation, et qui renvoie dos-à-dos le séparatisme des islamistes avec le « séparatisme des riches », comme s’il s’agissait de la même chose. Qu’on s’entende bien : la ghettoïsation est indéniable et insupportable. C’est l’un des grands échecs de la République, même si ce n’est pas un échec complet car, on n’en parle jamais ou en tout cas pas assez, des milliers de familles s’en sortent, des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes s’intègrent, réussissent dans les études et gravissent – pas assez vite, c’est certain – les échelons de la société. Il faut évidemment y répondre bien mieux qu’on n’a su le faire jusqu’à présent. Mais persister à croire que la cité, voire que les « discriminations systémiques » sont la cause du jihadisme, c’est avaliser les arguments des islamistes eux-mêmes, qui voient dans la France une machine à exclure sur des critères ethno-religieux. Relégation et discrimination sont tout au plus un terreau favorable, mais sûrement pas la cause de l’islamisme : celui-ci a ses ressorts propres, et c’est d’abord ces ressorts qu’il faut casser.

Lutter contre l’islam radical ou contre l’islamisme (et non contre « l’islamisme radical », comme s’obstine à l’appeler le Premier ministre, comme s’il pouvait y avoir un islamisme modéré…), c’est donc opposer un refus ferme et non négociable à toute entreprise d’accommodement, de ceux que réclame encore le sociologue Jean Baubérot, que beaucoup à gauche et même au sein de la majorité présidentielle considèrent encore comme le Saint-Jean-Bouche d’Or de la laïcité, alors qu’il n’en délivre, dans le meilleur des cas, qu’une réinterprétation mâtinée de libéralisme anglo-saxon ( Ah ! Son insupportable appel à la retenue dans l’usage des caricatures après l’assassinat de Samuel Paty ....).

La tentation de rechercher un compromis avec ces fameux « islamistes modérés », personnages dont le compagnonnage apparait d’autant plus désirable qu’ils sont imaginaires reste vivace chez une partie de nos responsables politiques. Voilà que le ciel s’assombrit : on croit deviner qu’il en est ainsi dans une partie du parti présidentiel, qui dit s’inquiéter d’une « dérive droitière » et semble se cramponner à une laïcité made in Observatoire, c’est-à-dire crépusculaire car dépassée, depuis belle lurette, par les événements. Plus personne aujourd’hui n’oserait encore dire, comme le Président de cet Observatoire le fit quelques mois après la création de celui-ci, qu’il « n’y a pas de problème de laïcité en France »...Pour achever sa mue, le PS devrait expliciter sa rupture avec cette culture-là plutôt que de chercher une synthèse molle comme il en a trop eu l’habitude depuis une vingtaine d’années.

On voit surtout qu’à la gauche du PS, on s’enfonce dans l’obscurité en klaxonnant : de la FCPE et de la Ligue des Droits de l’Homme, qui semblent décidés à reprendre le flambeau de l’activisme judiciaire abandonné par le CCIF en intentant des procès à tout le monde – même à Jean-Pierre Obin le courageux auteur d’un rapport que certains auraient mieux fait de lire plutôt que de le cacher dans un placard ! – aux écologistes, Jadot peut-être mis à part, en passant par Jean-Luc Mélenchon qui n’en finit plus de se renier et fustige, dans une transe plénélienne, une « déclaration de guerre contre les musulmans », cette gauche-là semble décidée à camper du mauvais côté de l’Histoire, là où les intérêts du peuple ne sont pas, surtout pas ceux des musulmans qui sont, faut-il le rappeler, ceux qui subissent l’islamisme en première ligne.

Néo-puritanisme

Qu’en est-il du front intellectuel ? Il n’est pas à négliger. Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, ont-ils eu raison de pointer certaines dérives à l’université en employant le qualificatif « d’islamo-gauchisme » ? On peut discuter le terme, non nier ce qu’il recouvre. Ce que l’on appelle désormais la « cancel culture », ou « culture de l’effacement », menace bien vite de se transformer en effacement de la culture, tant l’ardeur à l’interdît et l’envie de censure s’y lisent à livre ouvert : Les suppliantes d’Eschyle, Sylviane Agacinski et même François Hollande en ont fait les frais, réactivant des campagnes diffamatoires plus anciennes, comme celle qui frappa, en 2006, l’historien Olivier Grenouilleau pour sa magistrale Histoire des traites négrières. Par rapport à ce qu’il se passe aux Etats-Unis, ce n’est qu’un hors-d’œuvre : professeurs mis à pied pour un mot jugé inapproprié, remise en cause des programmes d’histoire de l’art « européo-centrés », critiques des œuvres de Renoir comme pornographiques, etc.

Que mille pétitions fleurissent pour s’inquiéter des menaces sur les « libertés académiques » a de quoi rendre songeur : ne sont-ce pas précisément ces mouvements d’idées qui, à force de sectarisme militant et de politisation du travail scientifique, ne cessent de demander censure et auto-censure contre ceux qui ne pensent pas comme eux ?

Le fait est : une puissante aspiration puritaine, sous couvert d’antiracisme, nous vient d’outre-Atlantique. Ce sont sensiblement les mêmes protagonistes qui sont à l’œuvre dans la campagne anti-française menée depuis l’assassinat de Samuel Paty et visant à faire passer la France, depuis les tribunes d’estimables institutions de la presse de la côte est des Etats-Unis, pour un pays « islamophobe ». Voilà un champ que la France a eu le grand tort de négliger dans cette grande bataille contre l’intolérance : l’opinion publique internationale. A moitié par dédain pour des questions jugées subalternes, à moitié aussi par un certain tropisme intellectuel présent dans les milieux diplomatiques, le discours tendant à présenter la France comme la victime d’un mal qu’elle aurait elle-même attisé, insensible aux humiliations arabes et aveugle à la religiosité musulmane n’a pas été considéré sérieusement, quand il n’a pas été tout simplement encouragé in petto. D’une certaine presse américaine aux médias-croupions à la botte de la Turquie et du Qatar, en passant par les officines du soft power islamiste, la France ne manque pas de contempteurs que l’on laisse opérer sans les déranger, ni même leur disputer le terrain médiatique.

Il importe dès à présent que nous retrouvions de la voix et des relais, notamment en Europe. La tuerie de Vienne est venue rappeler deux choses : la première est que toute l’Europe est visée ; la deuxième, comme l’a dit Richard Malka, est que les caricatures, comme le passé colonial, ne sont que des prétextes. Les islamistes ne tuent pas pour ce que nous avons fait ou ce que nous n’avons pas fait, mais uniquement pour ce que nous sommes.

De chaque cour de collège jusqu’aux grandes enceintes internationales, de nouvelles batailles pour les libertés seront à livrer. Elles prendront à revers tous ceux qui restent prisonniers des vieux schémas, ou qui sont tentés par des calculs politiciens de court terme : les puritains se font appeler progressistes, les censeurs se nomment défenseurs des libertés ; ceux qui sèment la mort et appellent à la haine se font passer pour des justiciers. Ce sera l’un des défis de 2021, avec la sortie de l’épidémie et la lutte contre la crise économique.

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