Autorité

Gilles CLAVREUL - 22 Fév 2019

AUTORITE

  Interrogé mardi soir place de la République à Paris par une chaîne d’information, lors du rassemblement républicain contre l’antisémitisme, l’ancien Président Nicolas Sarkozy a eu ces mots, empreints d’une sobriété chez lui inhabituelle : « Je fais confiance aux autorités pour prendre les décisions nécessaires. Mais il y a vraiment maintenant une question d’autorité. Un certain nombre d’individus provoquent, insultent l’autorité de l’Etat. L’Etat doit répondre. Je suis sûr qu’il le fera. Mais il faut le faire maintenant. Et avec une fermeté extrême.". D’ordinaire bienveillant envers son jeune successeur, ces mots de l’ancien chef de l’Etat résonnaient comme un avertissement. Ils touchaient, au-delà du grave problème posé par la résurgence spectaculaire des actes antisémites, à une vérité sans équivoque.

Dans son acception la plus courante, l’autorité renvoie à la fermeté, en politique comme dans la vie de tous les jours. Ainsi le pouvoir se fait-il respecter quand il dit non, quand il trace la limite entre le permis et l’interdit, bref lorsqu’il dit la norme et la fait appliquer, au besoin par la contrainte. L’inconvénient de cette acception courante est qu’elle ne distingue pas clairement l’autorité de l’autoritarisme, la contrainte légitime de l’emploi indistinct de la force, la rigueur de la brutalité, sinon par une frontière incertaine, floue et pour tout dire arbitraire, entre la mesure et l’excès.

Gageons que, si Nicolas Sarkozy avait d’abord en tête qu’il convenait en effet, sur ce sujet précis de l’antisémitisme, d’agir énergiquement et sans faiblesse contre un mal qui ronge la cohésion nationale, il formulait aussi, instruit de sa propre expérience – et qui sait ? de ses propres erreurs – une exigence d’une autre nature, celle d’un nécessaire repositionnement de l’Etat, en surplomb du tumulte social, dans une attitude propre à rendre du pouvoir à une parole affaiblie.

Conscient que le mal ne datait pas d’hier, Emmanuel Macron n’a pas ménagé sa peine, ces trois dernières semaines, pour parler, parler, et parler encore à ses concitoyens. Après avoir théorisé une présidence jupitérienne à la parole rare, le chef de l’Etat s’est avisé juste à temps que la source de tout pouvoir résidait dans le verbe. Il prend désormais le risque qu’on lui reproche d’être bavard : de deux mots, il choisit le moindre et a sans doute raison de le faire.

Tâchons pour ce qui nous concerne de creuser ce que peut bien signifier cette « demande d’autorité » qu’on invoque à tout propos, et qu’il ne faut pas confondre, ou en tout cas rabattre, sur une demande de fermeté ou un désir d’ordre. « L’autorité », on le sait, est cousine « d’auteur » : faire preuve d’autorité, c’est agir sur son destin. Un autre membre de la famille étymologique nous suggère cependant une autre piste : « augere », augmenter, accroître. L’autorité agrandit le champ des possibles, elle ouvre des perspectives auxquelles la simple gestion du cours des choses ne donnerait pas accès. N’est-elle pas, dès lors, la vertu politique par excellence, non seulement celle que les dirigeants se doivent de cultiver, mais aussi celle que les citoyens attendent de tout gouvernement ?

Bien des phénomènes politiques, récents et moins récents, mériteraient d’être regardés à travers ce prisme. On peut ainsi avancer que, par le passé, les électeurs ont durement sanctionné François Mitterrand avouant que, « contre le chômage, on a tout essayé », ou Lionel Jospin acquiesçant que « l’Etat ne peut pas tout ». On peut aussi lire une certaine ambivalence dans la demande de « démocratie participative », immédiatement contrebattue par l’impatience que font naître les lentes et fastidieuses procédures de consultation et les multiples recours contentieux. On peut enfin, pour s’en tenir aux derniers mois, estimer que l’épisode peu commenté, mais capital, du retrait du projet de Notre-Dame-des-Landes a provoqué un malaise quant à l’autorité de l’Etat, alors que tous les processus consultatifs, tous les contentieux, toutes les expertises et jusqu’au référendum local, en avaient validé le principe.

Il y a, enfin, le diable qui se niche dans les détails. Sans doute l’organisation interne de la Présidence et la sécurité personnelle du chef de l’Etat ne sont, à premier vue, qu’affaires d’intendance. Il n’empêche : c’est bien ce jeune homme invisible qui guidait les pas du Président élu au caroussel du Louvre, cet Alexandre Benalla, qui aura le plus rudement mis à l’amende, par la succession de péripéties que l’on sait, l’autorité de l’Etat. Lui, et quelques phrases maladroites, vénielles pour la plupart, mais problématiques pour un homme d’Etat, qui auront trivialisé l’image du Président et désacralisé sa fonction. Qu’on ne se méprenne pas : le ressentiment, la hargne, la haine chez certains, était là qui couvait, bien avant Emmanuel Macron. Mais davantage de tenue et de retenue les aurait sans doute, au moins pour un moment, tenus à distance, offrant à l’exécutif cet oxygène si rare dans la conduite des affaires.

Entre la sobriété et le mutisme, entre la concertation et l’indécision, entre la proximité et la familiarité, l’écart est ténu et l’équilibre, difficile à trouver : c’est tout l’art de gouverner. Le Président apprend, on ne saurait le lui reprocher, d’autant qu’il parait souvent bien seul à oser s’avancer, au risque de prendre tous les coups. Il n’a guère le choix, en vérité, car on sait où mènerait l’excès de prudence dans un moment où le besoin d’autorité est si fort : rien de moins qu’à la dictature, comme dans la fable de La Fontaine, « Les grenouilles qui demandent un roi ». La colère contre un pouvoir qui ne s’affirme pas est toujours grosse d’une aspiration à l’arbitraire.

Donnons pour l’illustrer, et pour conclure, la parole à Jacques Lacan, dix-huit mois tout juste après mai 68 : « L’aspiration révolutionnaire, ça n’a qu’une chance, d’aboutir, toujours au discours du maître. C’est ce dont l’expérience a fait la preuve. Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez.

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