Jean GLAVANY - 19 Juil 2018

Institutions, ressources et territoires

Réforme constitutionnelle : gare à l’antiparlementarisme!

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Le Parlement débat actuellement d'une réforme constitutionnelle dont les Français ne parlent pas du tout alors qu'elle peut avoir de grandes conséquences quant à la nature-même de notre démocratie.

Quand il s'agit de réforme constitutionnelle, il paraît tout d’abord important d’en appeler à  l'humilité, simplement parce que les révisions constitutionnelles sont une vieille passion des politiques ...alors que les Français s'en moquent parce qu'ils savent que ça ne va pas changer leur vie de tous les jours ni régler leurs principaux problèmes. Il y a donc une ardente obligation de pédagogie des politiques pour que le peuple se saisisse de l'importance éventuelle d'une révision. Reconnaissons qu'à ce stade, cette pédagogie est absente et, peut-être pire, que trop souvent ce debat est réduit à un galimatias  de café du commerce dont on se demande parfois s'il n'est pas surtout fait pour exciter les médias et la démagogie...

Ensuite, outre l'humilité, il est tout aussi important d’en appeler à l'esprit d'ouverture : quand une mesure est bonne, il faut savoir l'approuver, quel que soit son positionnement politique. Par exemple, ce qui relève du judiciaire, à savoir la suppression de la  Cour de Justice de la République ou bien l'obligation d'avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature pour les nominations des magistrats du parquet, me semblant aller dans le bon sens, je l'approuve.

Je ne veux pas m'étendre ici sur cette invraisemblable course à l'échalote que ce projet a provoquée, ni sur les propositions les plus loufoques qui se sont traduites par des centaines d'amendements aussi dérisoires les uns que les autres -où je remarque, d'ailleurs que le " nouveau monde " politique a été au moins aussi prolixe que l'ancien...- , ni sur la proposition concernant la Corse qui n'est pas choquante en soi, mais qui s'inscrit dans un dialogue désormais ancien entre la République et le binôme autonomistes-indépendantistes (dont il ne faut jamais faire l'amalgame !) où la surenchère est toujours la règle et où tout pas en avant du pouvoir républicain fait systématiquement l'objet de la part de ce binôme de la demande d'une étape suivante... au moins cette proposition a-t-elle le mérite de prouver une certaine" bienveillance de la République " mais ce sera sans doute vain comme pour toutes les avancées précédentes.

Dans cette " course à l'échalote", il est regrettable que le Président ait ajouté, lors du Congrès de Versailles, cette curieuse proposition visant à lui permettre de rester, après son discours, devant le Congrès, afin de participer aux débats qui suivent celui-ci, " écouter et répondre" comme il le dit. Pourquoi regrettable ? Parce que l'on touche là à la tradition parlementaire française de séparation des pouvoirs, jamais remise en cause depuis 1875, et à leur équilibre.

Dans le " parlementarisme rationalisé" voulu par De Gaulle et les constituants de 1958, il eût été impensable que le Président se rende devant le Parlement . C'est le rôle du Premier Ministre, politiquement responsable devant le Parlement. Nicolas Sarkozy, avec la réforme de 2008, a brisé  ce tabou en offrant  au Président la possibilité d'intervenir devant le Parlement réuni en Congrès, sous réserve de se retirer au moment du débat. C'était déjà beaucoup et presque trop !  Mais il en a usé avec parcimonie et n'était pas allé plus loin en maintenant l'interdiction de participer aux débats.

Son successeur, Francois HOLLANDE, n'en a pas abusé non plus intervenant essentiellement dans un moment de grand rassemblement national après la tragédie des attentats terroristes. Emmanuel Macron est déjà allé plus loin que ses deux prédécesseurs en annonçant qu'il viendrait une fois par an devant le Congrès pour un discours sur " l'état de l'union " à l'américaine, ce qui en dit long sur sa vision présidentialiste du régime. Il veut désormais franchir un pas de plus, imprévu jusque-là puisque cette mesure n'est pas inscrite dans le projet de loi constitutionnelle et qu'il veut que le gouvernement la propose par voie d'amendement. S'il ne l'avait pas envisagée lors de  l'élaboration du projet, pourquoi donc la propose-t-il maintenant ? La réponse est simple et surprenante : il semble que le Président ait été sensible aux critiques de l'opposition, de Jean-Luc Mélenchon et des Insoumis en particulier, qui ont boycotté le Congrès parce que le Président venait, parlait et repartait sans écouter. C'est vrai que cela peut paraître choquant mais c'est la Constitution qui le veut et on ne la réforme pas pour cela ! Ni  sans peser consciencieusement le pourquoi des choses . Car qu'y a-t-il au terme de ce chemin ? En clair, par cette étape supplémentaire dans la présidentialisation du régime, l'effacement du Premier Ministre est inscrit en fin de course. Rien que cela. Car débattre avec le Parlement, c'est le rôle constitutionnel du gouvernement et de son Premier Ministre. En lui enlevant ce monopole , on le condamne à s'effacer puis à disparaître ... Le dit-on clairement ? En mesure-t-on les conséquences ? Je crains bien que non,  et ceux qui ont réclamé cette mesure à cor et à cri, par une forme de démagogie populiste faite pour exciter les médias un instant en portent une lourde responsabilité.

Mais ce sur quoi je veux insister ici, c'est sur une certaine philosophie qui imprègne une grande partie de ce projet et qui est, quoi qu'on en dise, marqué du sceau de l'antiparlementarisme. Pourquoi dis-je "antiparlementarisme" ? Parce que, depuis un an, nous avons entendu trop de discours disant peu ou prou : " les parlementaires -et même les élus en général - , il y en a trop, ça coûte un « pognon de dingue », ça ne sert à rien sinon à ralentir l'action du gouvernement ".

Et c'est ainsi que sont nées plusieurs propositions concrètes.

La limitation du droit d'amendement ? Depuis des décennies, tous les pouvoirs se sont plaint des excès voire des abus de ce droit. Et nombreux - pas tous ! Il y eut de vrais gouvernements, de Droite et surtout de Gauche, parfaitement respectueux de la démocratie parlementaire...- sont ceux qui ont essayé de le réduire. Mais cela ne va pas sans risque. Car dans l'équilibre fragile des pouvoirs, la route sur laquelle s'égrènent  les étapes de cette réduction ne mène qu'à une issue : un parlement couché et transformé en chambre d'enregistrement dont la seule marge de manœuvre serait de renverser le gouvernement comme en Allemagne ou au Royaume-Uni. On ne serait plus dans ce "parlementarisme rationalisé " que voulaient les constituants de 1958, après la désastreuse expérience du régime d'Assemblée de la IVème République, mais dans un parlementarisme dévitalisé. Et la démocratie n'a rien, mais alors rien du tout à y gagner : tant d'exemples dans le monde et dans l'histoire sont là pour le prouver.

Je fais confiance aux Présidents des deux Assemblées pour défendre les droits de la représentation nationale mais je regrette qu'à ce stade, on ait plus entendu celui du Sénat que celui de l'Assemblée sur ce sujet capital...

; Restent deux questions particulières sur lesquelles je voudrais insister : la limitation du nombre de parlementaires et celle du cumul des mandats dans le temps.

La baisse de 30% du nombre de parlementaires, annoncée par le Gouvernement dans le cadre de cette réforme institutionnelle, ferait passer le nombre des députés  de 577 à 404 et celui des sénateurs de 348 à 244. Ce qui ne serait pas, bien évidemment, sans conséquences sur la réalité de la fonction représentative des élus.

Si cette réforme venait à se concrétiser, la France ne compterait donc plus que 648 parlementaires au lieu de 925, et serait à ce titre reléguée au cinquième rang européen, derrière l’Allemagne. Mais comparaison n'est pas raison ! Car l'Allemagne est un système fédéral  où le nombre de parlementaires fédéraux s'ajoute à celui des parlementaires des Landers !

  Mais il y a beaucoup plus parlant : le nombre de Parlementaires rapporté à la population d’un pays. En effet, actuellement, un Parlementaire français représente en moyenne 72 634 habitants, nous classant à la quatrième place au sein de l’Union Européenne. Avec cette réforme, cette moyenne passerait à 103 683 habitants, soit +43% ! En moyenne, au sein de l'Union européenne, 1 parlementaire représente environ 54 770 habitants, depuis  l'Allemagne avec 1 parlementaire pour 116 598 habitants, en passant par l'Italie avec 1 parlementaire pour 64 128 habitants, jusqu'aux pays nordiques, la Finlande , un pour 27000, la Suède un pour 28000, le Danemark, un pour 32000.  Je ne sais s’il est pertinent de s’aligner en toutes circonstances sur ce qui est trop souvent appelé « le modèle allemand » qui ne correspond en rien à la tradition représentative du Parlement français depuis près de 150 ans. A moins que nous ne souhaitions imiter les Etats-Unis, où on compte 320 millions d'habitants et 535 parlementaires, soit un « congressman » pour 600 000 Américains. Mais, là encore, le système est fédéral et le nombre des  parlementaires fédéraux s'ajoute à celui des élus des États .

Alors pourquoi réduire le nombre de Parlementaires sans en mesurer la conséquence, qui est l’éloignement croissant du député de ses électeurs. Je peux  en apporter un témoignage personnel : j’ai été député d’une circonscription de  100 communes. Puis, après le découpage de 2010 qui ne réduisait pas le nombre de Députés mais rééquilibrait justement les inégalités d’importance des circonscriptions pour tenir compte des évolutions démographiques, je suis devenu en 2012 député d’une circonscription de près de 300 communes. Un jour, un maire des anciennes communes de ma circonscription et qui avait été intégrée dans la nouvelle, m’a dit : « on te voit moins ». Et je lui ai répondu : « Eh oui ! Vous me voyez trois fois moins, parce que la circonscription compte trois fois plus de communes ! ». Conclusion : on peut aller encore plus loin et faire des députés « hors sol », le citoyen ne s’y retrouvera pas. Des députés " hors sol" de circonscriptions gigantesques auxquels s'ajouteront d'ailleurs  la soixantaine de députés, eux aussi hors sol, qu'on veut faire élire à la proportionnelle et qui seront surtout les fruits des combinaisons des états-majors parisiens. Comme dans ces énormes circonscriptions d'élection des membres du Parlement européen que personne ne connaît ni ne voit jamais.

Mais puisque j'évoque la révision de la carte des circonscriptions de 2010, fondée sur les recommandations insistantes du Conseil Constitutionnel pour des raisons de justice dans la représentation démographique, je veux insister sur un point qui me paraît, à ce stade, complètement occulté dans le débat : le Conseil accepte, dans sa jurisprudence, un écart maximum de 20% entre les populations des circonscriptions. Or, si on réduit à 404 le nombre de députés moins ceux élus à la proportionnelle soit 341 et si  l'on s'engage à maintenir au moins un député par département rural , ce qui est bien le moins, de rapides calculs montrent que cet écart pourrait être de l'ordre de 40%... Que dira le Conseil Constitutionnel de cette grave violation du principe d'égalité devant le suffrage, base de son raisonnement ancien sur les écarts de 20% maximum?

Pour  la limitation des mandats dans le temps (pas plus de trois mandats consécutifs), il faut souligner qu'aucune autre démocratie dans le monde ne l'a adoptée (aucune ! Il doit bien y avoir une raison !! Serions-nous plus démocrates que tous les autres ?? Encore l'arrogance française...). Quand je dis " aucune", il faut préciser à  l'exception peut-être des Philippines – encore n’est-ce pas clair. On a dit que cette mesure était appliquée au Portugal et au Mexique mais c'est faux. Au Portugal, elle n'a jamais existé  pour les parlementaires, et au Mexique, elle a existé avant d'être abandonnée  il y a quelques années après un bilan très... mitigé. Pour être exhaustif, reconnaissons  qu'il y a un chef d'Etat étranger qui veut instaurer cette limitation : c'est Trump ! Serait-il notre nouveau modèle es-démocratie ? Et n'oublions pas que la Révolution française a interdit une fois aux députés sortants de se représenter mais n'a jamais recommencé.

De ce fait, si cette mesure a reçu si peu d’écho positif à l’échelle internationale, c'est pour une raison simple et d'essence profondément démocratique : quand on interdit à certains de se présenter aux élections, peu ou prou, c'est une étape sur la voie du suffrage censitaire de triste mémoire et c'est créer une incapacité physique inédite qui porte une atteinte sans précédent au caractère universel du suffrage, les  inéligibilités et les incompatibilités n'étant nécessaires que pour assurer la sincérité du suffrage . C'est une tentative vraiment dangereuse.  On voit donc que les comparaisons internationales et européennes montrent que la situation de la démocratie française n’est ni atypique ni disparate. La France serait donc la seule à  avoir raison contre tous ? Dès lors, on ne peut que craindre que la vraie motivation soit d’ordre idéologique et démagogique : flatter l’opinion qui pense qu’il y a trop de parlementaires, « que ça coûte un pognon de dingue », et que ça ne sert à rien.

Je sais que je ne suis pas dans l'air du temps puisqu'on dit qu'une immense majorité de Français approuverait cette mesure. Mais c'est parce-que j'ai été un farouche défenseur de la limitation du cumul des fonctions qui, elle, était d'essence profondément démocratique, et parce-que j'ai pris la décision de ne plus me présenter à quelque élection que ce soit que je suis libre de dire ce que je pense de ces sujets sérieux et graves parce qu'ils touchent, je le répète, à l'essence même de notre démocratie. C'est le devoir des anciens et des sages, forts de leur expérience, d'éclairer les chemins qui sont empruntés sans que l'on sache vraiment pourquoi et où ils mènent. Et c'est aussi leur devoir de dire que l'antiparlementarisme quand il a existé, toujours et partout dans le monde, n'a entraîné que des accidents démocratiques douloureux et dramatiques. Et la clameur publique, hier des forums et de la rue, aujourd'hui des sondages et des réseaux sociaux, n'est sûrement pas la meilleure conseillère.

Auteur : Jean GLAVANY, ancien ministre, président de l’Aurore

Mots-clés : Constitution, Parlement, Institutions, Démocratie