Bloc-notes du 14 septembre 2018

Gilles Clavreul - 14 Sep 2018

Islam et Islamisme

Le « rapport El Karoui », publié par l’Institut Montaigne démonte minutieusement, sur plus de 600 pages, les rouages de l’islamisme. Rien que les esprits lucides ne découvrent : comme Gilles Kepel, longtemps bien seul, l’a maintes fois décrit, une idéologie protéiforme se déploie partout dans le monde, en Europe occidentale comme en Asie, au Moyen-Orient et sur le continent africain. Elle peut se réclamer du camp de la paix ou prôner la guerre, soumettre les femmes ou s’inventer « féministe », dénoncer la marchandisation des corps et s’inviter chez les marques du sportswear mondialisé, défiler avec l’extrême-droite homophobe ou s’associer aux luttes altermondialistes. Plastique en diable, l’islamisme se recycle à l’infini, jouant une mi-temps dans chaque camp, de la réaction à la guerre sociale, du consensus vivre-ensembliste au rejet violent de toutes les valeurs de la démocratie.

A chaque nouveau rapport, la photographie se fait plus nette, rendant un peu plus décalés et hors-sol les discours de déni. Il apparaît de plus en plus clairement qu’on ne peut traiter indépendamment la question de l’islamisme et celle de l’islam : sans lutte efficace contre l’islamisme, l’islam, et donc la grande majorité de musulmans qui adhèrent aux valeurs de la République, seront dans une position instable et inconfortable. Et maintenant, quelle stratégie de lutte ? Là-dessus, le débat ne fait que commencer. Trois axes de propositions se distinguent :

1) « Structurer l’islam » et confier la gestion du culte à des musulmans modérés – c’est en gros le sens des propositions qui ont déjà été formulées par Hakim El Karoui et dont il se dit qu’elle pourrait inspirer la stratégie de l’Etat. Problème : qui sont les « musulmans modérés » et qui est légitime pour les reconnaître ? On ne distingue pas vraiment ce que cette démarche apporte d’inédit par rapport aux tentatives qui, depuis trente ans, ont tenté une régulation assurée en dernier ressort par l’Etat, avec en arrière-plan un modèle non assumé : celui du Consistoire. Une construction en miroir qui n’est probablement ni très adaptée aux réalités protéiformes de l’islam, ni très saine dans son principe même.

2) Engager un combat culturel, valeurs occidentales contre valeurs islamistes, puisque celles-ci sont fondamentalement incompatibles avec le socle républicain mais aussi – et en fait surtout – avec les « racines chrétiennes », ou judéo-chrétiennes selon les versions, de la France et de l’Europe. Telle est la réaction identitaire que proposent nombre de partis de droite et d’extrême-droite à travers l’Europe

3) Revenir à l’esprit de la République libérale qui laisse se déployer librement les cultes et ne s’en mêle pas, posture probablement beaucoup plus conforme à ce que souhaite la majorité des Français, musulmans et non-musulmans, tout en veillant à protéger les individus contre ce que Clemenceau avait appelé, dans un discours au Sénat, « la liberté de la servitude », c’est-à-dire toutes les formes de pression normative allant du prosélytisme actif jusqu’au développement d’activités-prétextes, visant en réalité au formatage idéologique et religieux. Dans cette perspective, il reste de nombreux progrès à accomplir et une remise à niveau des politiques publiques pour mieux protéger les plus vulnérables. Un contrôle beaucoup plus strict des écoles hors contrat et autres activités péri-éducatives, au nom de l’intérêt de l’enfant, serait un bon début.


Orban VS. Macron

Le déclenchement de la procédure « de l’article 7 » contre la Hongrie, pour « atteinte à l’Etat de droit », marque un premier coup d’arrêt contre l’offensive nationaliste de Viktor Orban. Cependant, outre qu’il intervient tardivement, le vote du Parlement européen est lourd d’ambiguïtés et d’hypothèques : à quelles sanctions pourraient-elles aboutir, si tant est que ce soit politiquement opportun de permettre à Orban de se victimiser ? Même chose pour le match annoncé entre Orban et Macron. Que le premier nommé y ait intérêt va de soi. En est-il de même pour Macron ? En est-il de même de l’Europe et des Européens ? Si la prochaine campagne se résume à une opposition caricaturale entre nationalisme xénophobe et laisser-faire libéral, la seule issue certaine est que la majorité des Européens ne s’y retrouvera pas, et boudera les urnes. Faisons à Emmanuel Macron le crédit de comprendre que légitimer Orban (et Salvini) en les désignant comme adversaires numéro est une stratégie à double tranchant : autant on est sûr de les faire monter, autant on ne peut être assuré de faire le plein des voix démocratiques. Mais Macron n’est pas le seul à avoir une responsabilité dans cette affaire : si la gauche pro-européenne continue de ne rien proposer que la continuation de l’existant, les électeurs, eux, continueront à la sanctionner. Quant à la droite, divisée sur le vote contre la Hongrie, elle doit aussi clarifier sa position, assumer à la fois le « discours d’autorité » que son électorat attend sur la sécurité et l’immigration, tout en coupant court aux tentations populistes et autres menaces de « Frexit ».

En résumé, pour lutter efficacement contre Orban, Macron n’a pas intérêt à rechercher l’hégémonie chez les démocrates. Encore faut-il que ceux-ci la lui contestent intelligemment…


Audin, un premier pas

La reconnaissance par le Président de la République de la responsabilité de l’Etat dans la mort de Maurice Audin est un geste fort. Ce n’est pas le triomphe d’un camp, c’est la victoire, bien tardive, de la simple vérité. Elle ouvre la voie à un examen plus systématique de la pratique de la torture par les autorités françaises, et plus largement sur l’ensemble de la décolonisation de l’Algérie et ses épisodes dramatiques, Sétif, Constantine, l’abandon des Harkis, les conditions d’accueil des Rapatriés…La mémoire de la guerre d’Algérie est très inégalement présente dans les foyers français d’aujourd’hui ; mais dans certains territoires, elle pèse encore lourdement dans les rancœurs héritées. Il est grand temps d’alléger ce fardeau.

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